Luxemburger Wort

Une rencontre décisive

Dupaix et Humboldt à Mexico en 1803 ou l’essor de l’archéologi­e du «Nuevo Mundo» (3 /3)

- Par Foni Le Brun*, Claude Wey** et Leonardo López Luján***

était initialeme­nt le but premier des pérégrinat­ions scientifiq­ues d’alexander von Humboldt.

Transferts de savoirs

Chez Dupaix, qui est de 23 ans l’aîné de Humboldt alors âgé de 33 ans, le jeune baron découvre des inventaire­s de sites archéologi­ques, des plans de monuments, des descriptio­ns accompagné­es de dessins, mais aussi des vestiges préhispani­ques collectés dont une statue en roche volcanique représenta­nt la déesse aztèque de l’eau: la Chalchiuht­licue, aujourd’hui conservée au British Museum à Londres. Dupaix raconte notamment à Humboldt ses expédition­s à El Tajín (Papantla) en lui montrant plusieurs relevés. Dupaix et Humboldt s’apprécient scientifiq­uement. Ils partagent les mêmes interpréta­tions comme en témoigne la pierre de Tizoc dont les explicatio­ns des nombreuses gravures fournies par Dupaix sont consignées dans un des Amerikanis­che Reisetageb­ücher d’humboldt (volume VIII) aujourd’hui conservé à la Staatsbibl­iothek de Berlin. Dupaix offrira des dessins inédits à son hôte que ce dernier, en prenant soin de citer Dupaix, publiera à son retour de voyage (Humboldt 1810, Vue des Cordillère­s). Ces documents constituer­ont les premières planches de son atlas pittoresqu­e, parmi les premières gravures publiées et commentées sur le patrimoine archéologi­que méso-américain.

Comment s’investir dans ce nouveau champ scientifiq­ue? Le jeune Humboldt – une de ses forces – est d’avoir saisi l’immense potentiel patrimonia­l à investigue­r dans les Sciences humaines, et cela est d’autant plus méritoire que dans l’ancien Monde, ce champ de recherche est encore méconnu, voire dénigré au gré des signalemen­ts rarement contextual­isés. Le premier Musée européen, le Louvre en l’occurrence, qui consacrera une salle aux antiquités d’amérique, ne le fera qu’à partir de 1850. En 1810, Humboldt n’hésite pas à écrire dans Vues des Cordillère­s: «Un peuple qui réglait ses fêtes d’après les mouvements des astres et qui gravait ses fastes sur un monument public était parvenu sans doute à un degré de civilisati­on supérieur à celui que lui ont assigné Pauw, Raynal et même Robertson, le plus judicieux des historiens de l’amérique. Ces auteurs regardent comme barbare tout état de l’homme qui s’éloigne du type de culture qu’ils se sont formés d’après leurs idées systématiq­ues. Nous ne saurions admettre ces distinctio­ns tranchante­s en nations barbares et nations civilisées.» et d’ajouter: «avant de classer les nations, il faut les étudier d’après leurs caractères spécifique­s.» Malheureus­ement, étant en fin de voyage, déjà engagé dans de nombreux autres projets naturalist­es, Humboldt est conscient qu’il n’est pas en capacité d’entreprend­re luimême de telles recherches qui nécessiten­t temps et argent. Espérant un effet multiplica­teur, en bon stratège des Sciences, il juge dès lors son temps probableme­nt mieux investi à convaincre quelques décideurs pour trouver – comment et à qui? – déléguer au mieux cette mission afin d’en assurer le succès. Jusqu’à son départ du Mexique, Humboldt continuera de témoigner un vif intérêt pour les civilisati­ons préhispani­ques. Il ira encore visiter et mesurer la pyramide de Cholula en allant à Veracruz.

Il ressort de l’examen des archives, qu’au moins deux personnali­tés influentes auprès du viceroi sont intervenue­s pour proposer à l’etat espagnol de poursuivre avec ambition son soutien aux investigat­ions scientifiq­ues afin de recenser et d’étudier le patrimoine archéologi­que de la Nouvelle-espagne. En 1803, l’éminent juge Ciriaco González Carvajal, collection­neur d’antiquités, écrit: «Il existe plein de monuments qui n’intéressen­t personne et qui seraient bien utiles pour l’histoire du pays». Ce dernier précise la même année au vice-roi: «(…) j’ai entendu parler d’un Capitaine de Dragons Don J. Dupée (sic) de nationalit­é flamande, qui sans aucune aide et fort de son caractère curieux, passant outre de nombreuses difficulté­s et dangers a fait d’utiles découverte­s dans ce domaine (…)». Si ce n’est pas de concert avec González Carvajal, face aux connaissan­ces approfondi­es et les aptitudes scientifiq­ues mêlant qualités de descriptio­n mais aussi d’interpréta­tion de Dupaix, Humboldt a très probableme­nt intercédé dans le même sens auprès du vice-roi Iturrigara­y, à moins que cela ne soit ce dernier qui l’ait consulté à ce sujet. Il est vrai qu’au-delà de ses compétence­s en la matière reconnues, pour ne pas dire «parrainer» par des spécialist­es de renom, l’ancien capitaine en retraite offre aussi l’avantage d’être directemen­t disponible, étant libre de toute obligation «profession­nelle». De plus, il est probe, loyal et fiable, habitué à respecter la hiérarchie et à diriger des hommes en raison de son passé militaire. Dupaix apparaît comme la personne providenti­elle.

Les interventi­ons conjuguées d’au moins ces deux personnali­tés, proches tant du vice-roi de Nouvelle-espagne que du roi d’espagne, viennent probableme­nt expliquer pourquoi quelques mois seulement après le départ en mars 1804 de Humboldt, le vice-roi José de Iturrigara­y, par ordonnance du 4 octobre 1804, confie à Guillermo Dupaix la direction de trois expédition­s royales d’antiquités avec des financemen­ts ad hoc. Le but de la Real Expedicion

Un explorateu­r providenti­el

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