Péril en la demeure
La question d'un dépôt national vue à travers la situation de trois collections de musées
Le député libéral André Bauler, toujours au faite des questions d’ordre culturel, a interpellé la ministre de la Culture, Sam Tanson, au sujet du projet d’un dépôt national regroupant l’ensemble des collections d’art des musées et institutions publiques du pays. La ministre, dans sa réponse à la question parlementaire 1288, se dit consciente du problème et surtout décidée à faire avancer, sur un plan politique, les choses. Une visite de trois dépôts de musées – MNHA, MNHN et Mudam – suffit pour prendre la mesure de la situation.
Une étude statique des fondations et de la dalle du premier étage est en cours afin de déterminer l’emplacement idéal pour stocker les objets les plus lourds. Michel Polfer et Muriel Prieur, le directeur et la chef de service restauration, régie, dépôts et ateliers du Musée national d’histoire et d’art, ont avec le temps appris à s’adapter. Le vaste dépôt du MNHA, situé dans une petite localité non loin de la capitale, est bien rempli. Une statue de Lucien Vercollier est déposée à côté d’une presse d’imprimeur et de nombreuses pierres de fouilles archéologiques. Non pas dans un endroit sécurisé ou adapté, mais dans un espace qui fait fonction de garage, de zone de déchargement ou de chargement. Ici, le provisoire semble s’éterniser. «Nous sommes à l’étroit», explique Muriel Prieur, «sans aucune marche de manoeuvre lorsqu’il s’agit de sortir ou de déplacer l’un ou l’autre objet de nos collections.»
Michel Polfer rappelle: «Une collection d’etat, comme la nôtre, est inaliénable. Donc, rien ne peut sortir d’ici, on n’a pas le droit de vendre, de détruire ou d’offrir quelque chose. Il n’y a donc aucun va-et-vient possible». Ce qui implique, que le nombre brut d’objets déposés augmente année après année. D’autant plus vrai, que le Musée national d’histoire et d’art est régulièrement le récipiendaire d’héritages. Heureusement, aujourd’hui le musée n’est plus obligé d’accepter les offres en bloc. Histoire aussi d’éviter les doublons dans les collections...
Autre lieu, autre décor. Le Mudam conserve une partie de sa collection au sous-sol de son bâtiment au Kirchberg. Tout est rangé à sa place. D’énormes caisses en bois attendent leurs prochains voyages engendrés par des prêts, les toiles sont accrochées dans des armoires d’archivage adaptées – en parties les mêmes que celles utilisées par le MNHA et qui permettent d’accrocher à la verticale les toiles.
Sauf qu’ici, l’humidité (50 %) et surtout la température (20° C) sont contrôlées et garanties. «Ces espaces ont été conçus dès le départ en fonction de leur utilisation future», se réjouit Marie Noëlle Farcy, curatrice, responsable de la collection et des dépôts du Mudam.
Ce qui n’est pas le cas de l’entrepôt du MNHA, un ancien hall industriel loué par l’etat dans l’urgence et sans une visite ou une étude au préalable. Le musée, précipitamment contraint de libérer des espaces de stockage aux Archives nationales, a dû trouver en un temps record une solution de rechange. Plus tard l’etat achètera les locaux en question.
Même situation pour le MNHN, obligé de quitter en 2013 des locaux de Howald. Les deux institutions ont donc été obligées de déménager leurs dépôts avec pour conséquence un repli vers une solution pas forcément adaptée aux besoins spécifiques et que l’on espérait surtout provisoire. D’où les attentes et espoirs de voir un dépôt national devenir réalité. «Avec le temps, les collections ne cessent de s’agrandir, il nous faut donc davantage d’espace et de meilleurs conditions de sauvegarde», explique Alain Faber, directeur du MNHN.
Acclimatation et climatisation
Un problème de toute conservation d’oeuvres d’art sont les changements de températures. Au Mudam, des périodes d’acclimatation de 48 heures sont possibles lorsque des toiles, installations ou sculptures rejoignent le dépôt suite à un prêt extérieur. Pour les expositions intra muros – le Mudam met régulièrement à l’honneur sa propre collection – la question d’adaptation au changement de températures ne se pose pas.
Alain Faber, le directeur du Musée national d’histoire naturelle (MNHN), explique: «En cas de forte pluie, la climatisation peine à éliminer l’humidité. Ce qui peut provoquer des dégâts sur nos animaux qu’il faut ensuite nettoyer». Le dépôt du MNHN, lui aussi situé en grande périphérie de la capitale, regorge d’animaux empaillés, de collections d’insectes, d’herbiers et autres collections. Autant de pièces sensibles, rares.
Le dépôt du MNHA, comme tous les autres, n’est jamais à l’abri de pannes imprévues. Lorsqu’à Noël la climatisation est tombée en panne et en l’absence de technicien rapidement disponible, Muriel Prieur a dû avoir recours à des solutions de fortune.
Autre particularité des lieux du MNHA: une partie du premier étage, réservé aux sculptures, est climatisé, contrairement aux larges volumes accueillant les pièces de collection de la section «Arts décoratifs et populaires» – «folklore». Armoires, meubles divers, chaises et autres objets, très souvent en bois, sont exposées en été à des températures extrêmes.
Les dépôts du MNHA et du MNHN ont un autre point commun: ils logent dans des halls industriels, peu adaptés aux besoins spécifiques d’une institution muséale, sans respecter certaines normes d’usages. Mais aussi, sans protection incendie particulière. Michel Polfer ne peut que constater: «Si le feu se déclare chez
Nos collections s’agrandissent, il nous faut plus d’espaces et de meilleures conditions de sauvegarde.
Alain Faber, directeur du MNHN
nous, les pompiers ont pour seul mission de sauver les personnes présentes.» Un système d’irrigation, type sprinkler, n’étant pas envisageable, d’autres solutions doivent être trouvées. Les dégâts provoqués par la rupture d’une conduite d’eau en juillet dernier aux Archives nationales montre que nul n’est à l’abri d’un incident.
Les entrepôts du MNHN ont une double mission. Tout d’abord, celle de conserver des pièces historiques. Des animaux empaillés datant du XIXE siècle attirent certes le regard mais témoignent d’une époque révolue. Plus discrètes sont les collections d’oiseaux, avec leurs quelques 3.400 spécimen de 1.200 espèces différentes. Ces dernières contiennent également
Les dépôts du MNHA (haut), du MNHN (bas gauche) et du Mudam (bas droite) ont un double point commun: le manque de place et la nécessité de trouver de nouvelles solutions de stockage. quelques pièces historiques, comme ce colibri de 1872.
A l’image des millions d’insectes conservés, ces collections peuvent aussi avoir une utilité scientifique: documenter les changements climatiques, la disparition d’espèces, mais aussi accompagner des recherches scientifiques aux quatre coins du globe. En plus des animaux, crustacés et autres pièces conservés dans des bocaux de formol, une surprenante chambre forte dévoile d’autres secrets bien gardés: des objets divers et exotiques saisis par les Douanes luxembourgeoises – en vue des règles de la «Convention de Washington sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées
d’extinction» –, déposés là en attendant une éventuelle réutilisation ou destruction.
Le manque de place évoqué plus tôt est aussi une raison pour évoquer la nécessité d’un dépôt national comun. La Bibliothèque nationale, après son déménagement au Kirchberg, vient de libérer de l’espace dans ses anciens dépôts de Hamm: en profiteront le Centre national de littérature de Mersch et le Musée d’histoire naturelle. Le Centre national de Recherche archéologique de Bertrange va bientôt partager un hall flambant neuf avec l’administration des Ponts&chaussées. Une cohabitation qui fait sens, souligne-t-on au ministère de la Culture, puisque les deux partenaires souvent interviennent sur les mêmes projets.
Des solutions de dépannage
Et pourtant et malgré ces quelques solutions de dépannage ponctuelles – qui selon les cas pourraient être pérennes –, les musées ont besoin de beaucoup plus de place, comme le relève l’inventaire opéré par le ministère de la Culture (voir graphique ci-contre). «Chaque musée a ses propres spécificités, ses propres besoins, c’est clair», note Marie Noëlle Farcy du Mudam.
Un dépôt commun permettrait de rationaliser l’espace et de mutualiser les moyens.
Marie Noëlle Farcy, responsable des dépôts du Mudam
Une collection d’etat, comme la nôtre, est inaliénable: aucune pièce ne peut être donnée, vendue, offerte ou détruite. Michel Polfer, directeur du MNHA
«Nous aussi nous manquons de place, nous allons bientôt atteindre nos limites.» Pour rappel: la version retoquée du Mudam, lors de sa conception, s’est faite au détriment de ces espaces de stockage. «Un dépôt commun permettrait de mieux rationaliser l’espace, de mutualiser et de partager les moyens autour de manipulations et préoccupations communes. C’est une décision politique de faire avancer les choses.»
Outre les questions d’espaces disponibles, de normes à respecter, de techniques de stockage, un autre problème récurrent occupe les responsables de musées: la digitalisation des pièces stockées. Une étape importante. Alors que chaque conservateur connaît sa propre collection, ces données devraient être accessibles à tout. D’où l’importance de répertorier chaque pièce. Avec, par exemple, quelque 250.000 monnaies au MNHA ou 3 millions d’insectes au MNHN, la tâche s’annonce longue et ardue. «Les travaux sont en cours, notre banque de données s’étoffe», note Alain Faber. «J’estime, qu’il nous faudra encore 25 ans», a calculé Michel Polfer.
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Leitartikel, page 3