Les secrets d’un couple qui dure
A 99 ans, l’union économique belge-luxembourgeoise (UEBL) a encore de beaux jours devant elle
Malgré ses 99 ans d’existence, l’union économique belgo-luxembourgeoise (UEBL) n’a pas pris une ride. Si vu de l’extérieur, on a parfois l’impression que L’UEBL mène une existence discrète depuis des décennies, «à l’intérieur, elle est bien vivante», assure André Biever, directeur adjoint au ministère des Affaires étrangères et européennes du Luxembourg. L’union n’est jamais tombée dans un statu quo léthargique, bien au contraire: elle a su s’adapter au changement et se réinventer au fil du temps, raison pour laquelle elle semble avoir, selon les spécialistes, encore de beaux jours devant elle.
Je vous déclare unis...
Les deux pays ont entamé leur relation conjugale en 1921 avec la création de l’union économique belgo-luxembourgeoise. Il s’agit à la base d’une union douanière qui abolit les entraves à la circulation et donne aux acteurs économiques du pays voisin les mêmes droits qu’aux nationaux. Les deux gouvernements coordonnent leur politique économique et mettent en oeuvre une politique commerciale commune vers l’extérieur. Jusqu’à l’apparition de l’euro, L’UEBL était aussi une association monétaire, avec une vraie parité entre le franc belge et le franc luxembourgeois.
Durant les années qui ont suivi la Première Guerre mondiale, la nécessité, côté luxembourgeois, d’intégrer le territoire dans un espace économique plus vaste pour pouvoir avoir accès à des marchés, était une évidence. En 1919, le Zollverein allemand, auquel le Grand-duché avait adhéré en 1842, a été dissout et le Grand-duché contraint de réorienter sa politique économique. En 1919, le résultat d’un référendum national était très clair: une très grande majorité des Luxembourgeois était en faveur d’une union économique avec la France. Or, la France a refusé de conclure une union douanière avec le Luxembourg, ce qui a amené le pays à se tourner vers la Belgique. «C’était très clairement un second choix», explique André Biever. Du côté belge aussi, une union douanière avec le Luxembourg n’était pas l’objectif idéal pour tout le monde à Bruxelles. Néanmoins, «même si cette convention signée en 1921 sonne comme un mariage de raison plutôt qu’un mariage de coeur, elle a fait ses preuves, à tel point qu’elle n’a jamais été remise en question», dit-il.
Les ingrédients qui marchent
Et pour cause. Le partenaire économique belge s’est rapidement avéré être un allié intéressant pour les Luxembourgeois qui ont de ce fait eu accès au port d’anvers et donc au transport maritime. L’association monétaire belgo-luxembourgeoise est également considérée comme une opération globalement positive pour l’économie des deux pays. En outre, il est bien connu aussi que le capital belge a beaucoup contribué au développement de la place financière luxembourgeoise. Pendant longtemps aussi le Luxembourg a apporté une contribution non négligeable à la balance des paiements de L’UEBL, qui est de l’ordre de 25 % du solde positif.
Une autre explication de ce succès vient sans doute aussi des bonnes relations humaines qui ont toujours existé
Les relations économiques entre la Belgique et le Luxembourg sont solidement établies depuis le traité de L’UEBL signé en 1921.
L’UEBL a fait ses preuves à tel point qu’elle n'a jamais été remise en cause.
entre les deux alliés. Le Luxembourg a toujours été et reste encore aujourd’hui le petit partenaire. Toutefois, la relation qui a commencé en 1921 avec un droit de commandement réservé à la Belgique a évolué petit à petit vers un rééquilibrage en faveur du Luxembourg. «Globalement on peut dire que la Belgique n’a pas trop abusé de sa position de grand frère», juge André Biever. «Cela ne veut pourtant pas dire qu’il n’y a jamais eu de couacs.» Le plus connu est celui de 1982, lorsque la Belgique a unilatéralement décidé de dévaluer le franc sans consulter son partenaire luxembourgeois. Ce qui a provoqué un vif mécontentement parmi les Luxembourgeois.
La flamme ne s’est jamais éteinte
Enfin, le succès de L’UEBL est aussi lié à sa capacité à s’adapter aux nouvelles réalités, notamment celle de la construction européenne. Pendant longtemps, L’UEBL a joué un rôle de précurseur en termes d’intégration, mais cette situation a disparu quasi entièrement avec la fin de l’association monétaire belgo-luxembourgeoise. Alors la question qui s’imposait était la suivante: L’UEBL n’a-t-elle pas fait son temps, ne faut-il pas la dissoudre dans un espace européen? A l’époque, la réponse des autorités était claire: les deux gouvernements ont estimé qu’il fallait maintenir L’UEBL en vie et l’adapter aux nouvelles réalités. On a donc enlevé les passages obsolètes, élargi le texte avec de nouvelles compétences, selon André Biever.
Le texte actuel de la convention qui date de 2002 est accompagné d’une déclaration solennelle qui renforce la collaboration des deux pays dans des domaines très divers comme la défense, la police ou encore la sécurité. Dans le même temps, L’UEBL continue d’avoir une fonction très précise dans le domaine économique. Tout d’abord, «cela reste une union douanière et d’accises», rappelle André Biever. Les recettes des douanes et d’accises sont mises en commun et redistribuées en fonction d’une clé de répartition. Cela concerne notamment les bières, les vins, certains produits manufacturés, les boissons spiritueuses ou encore le tabac manufacturé.
Par ailleurs, c’est dans le cadre de L’UEBL que sont négociés les traités et accords afférents à la défense des intérêts économiques, notamment les accords concernant l’encouragement et la protection réciproque des investissements. Il existe une centaine de tels accords aujourd’hui, selon André Biever.
Enfin, dans les circonscriptions où le Luxembourg ne possède pas de représentation diplomatique ou consulaire, la défense des intérêts luxembourgeois dans le domaine économique et commercial est confiée aux représentations diplomatiques et consulaires belges.
Aujourd’hui, L’UEBL permet un fonctionnement institutionnel très flexible, car il ne s’agit en aucun cas d’une institution supranationale. La prise de décision se fait essentiellement par consensus. Le principal rouage de fonctionnement de L’UEBL est la commission administrative belgo-luxembourgeoise (CABL). L’enceinte permet de traiter tous les problèmes bilatéraux, que ce soient les grands dossiers politiques ou les questions très pointues et tangibles qui se posent dans les relations bilatérales. «Le fonctionnement est assuré par une coordination vraiment très étroite au niveau des fonctionnaires nationaux, il y a très peu de bureaucratie», se félicite André Biever.
Le centenaire de l’institution célébré l’année prochaine sera certainement l’occasion d’évoquer les défis posés aux relations belgo-luxembourgeoises pour accroître encore davantage leur efficacité et poursuivre le mariage...
L’UEBL est certes un vieux couple, mais un couple qui a encore beaucoup de plaisir à être ensemble.