Bienvenue à la ville piège
«Traptown»: un bon concept ne fait pas forcément un bon spectacle
Le propos à la base de «Traptown», la dernière création du chorégraphe Wim Vandekeybus, ne casse pas trois pattes à un canard. Il est même d’une telle évidence qu’il en revient à enfoncer des portes ouvertes.
L’idée est la suivante: l'humanité s'étant condamnée à vivre dans des villes de plus en plus tentaculaires, ces dernières tendent à devenir des lieux où quantité de sous-cultures, traditionnelles, historiques, sociales, religieuses, s’entrechoquent et s’affrontent plus qu’elles ne se nourrissent mutuellement. Et à la fin, c’est l’aliénation qui gagne... Le monde du futur sera urbain, ses métropoles seront autant de poudrières. Mais ça, au fond, on le savait déjà...
Pour corser le propos, Vandekeybus a invité un auteur, Pieter De Buysser, à écrire une fable aux dimensions volontairement mythiques, mais au message plutôt obscur, un texte qui s’inspire tout autant de la tragédie classique.
Le chorégraphe, de son côté, a puisé à pleines mains dans la boîte à malices. Ainsi, le fond de scène, au décor spartiate, se transforme fréquemment en écran vidéo. On y découvre tout d’abord un labyrinthe vu du ciel, un dédale aux cinquante nuances de gris dans lequel fourmille une humanité indistincte.
Une ligne de fuite
Au ras du sol, dans les profondeurs de ses entrailles, le labyrinthe ressemble à l’un de ces innombrables bidonvilles qui poussent un peu partout sur la planète. Ou à un camp de réfugiés. Les danseurs y apparaissent aussi, l’écran vidéo leur servant de ligne de fuite, dans le prolongement de leurs mouvements sur scène.
Le procédé est astucieux, sa réalisation plutôt bien faite, l’effet devient toutefois rapidement étouffant. C’était sans doute le but: bienvenue à «Traptown , la ville piège!
On ne danse finalement pas beaucoup, mais on y parle beaucoup. Beaucoup trop et sur tous les tons: les danseurs s’adressent au public, plaisantent avec lui, dialoguent avec les personnages apparaissant à l’écran, s’interpellent mutuellement. Et le spectateur y perd vite son latin. Là encore, s’il s’agissait de dépeindre notre monde digitalisé, où les news, les fake news, les commentaires ironiques, les messages haineux, se multiplient comme des lapins (avec l’aigle, c’est l’autre animal mythique de la pièce), c’est réussi.
Et sur le papier, la proposition peut paraître séduisante. Mais sur scène, ça ne fonctionne pas vraiment: trop de références, trop de bavardage, trop de clins d’oeil (assez grossiers parfois), donnent le sentiment d’assister à l’un de ces spectacles auto-complaisants des années 70. Le Grand Magic Circus, mais sans la magie...
Au bout de quelque deux heures d’ennui, on pousse un soupir de soulagement au moment d’applaudir les huit danseurs, qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour sauver «Traptown» de la misère: leurs qualités individuelles n’étaient pas en cause, mais la chorégraphie et l’ensemble du concept. Ce qui fait la force de la danse contemporaine, c’est sa capacité à raconter des histoires sans paroles. Dommage que Wim Vandekeybus ait négligé cette vérité première.