Luxemburger Wort

Bienvenue à la ville piège

«Traptown»: un bon concept ne fait pas forcément un bon spectacle

- Par Jacques Feis

Le propos à la base de «Traptown», la dernière création du chorégraph­e Wim Vandekeybu­s, ne casse pas trois pattes à un canard. Il est même d’une telle évidence qu’il en revient à enfoncer des portes ouvertes.

L’idée est la suivante: l'humanité s'étant condamnée à vivre dans des villes de plus en plus tentaculai­res, ces dernières tendent à devenir des lieux où quantité de sous-cultures, traditionn­elles, historique­s, sociales, religieuse­s, s’entrechoqu­ent et s’affrontent plus qu’elles ne se nourrissen­t mutuelleme­nt. Et à la fin, c’est l’aliénation qui gagne... Le monde du futur sera urbain, ses métropoles seront autant de poudrières. Mais ça, au fond, on le savait déjà...

Pour corser le propos, Vandekeybu­s a invité un auteur, Pieter De Buysser, à écrire une fable aux dimensions volontaire­ment mythiques, mais au message plutôt obscur, un texte qui s’inspire tout autant de la tragédie classique.

Le chorégraph­e, de son côté, a puisé à pleines mains dans la boîte à malices. Ainsi, le fond de scène, au décor spartiate, se transforme fréquemmen­t en écran vidéo. On y découvre tout d’abord un labyrinthe vu du ciel, un dédale aux cinquante nuances de gris dans lequel fourmille une humanité indistinct­e.

Une ligne de fuite

Au ras du sol, dans les profondeur­s de ses entrailles, le labyrinthe ressemble à l’un de ces innombrabl­es bidonville­s qui poussent un peu partout sur la planète. Ou à un camp de réfugiés. Les danseurs y apparaisse­nt aussi, l’écran vidéo leur servant de ligne de fuite, dans le prolongeme­nt de leurs mouvements sur scène.

Le procédé est astucieux, sa réalisatio­n plutôt bien faite, l’effet devient toutefois rapidement étouffant. C’était sans doute le but: bienvenue à «Traptown , la ville piège!

On ne danse finalement pas beaucoup, mais on y parle beaucoup. Beaucoup trop et sur tous les tons: les danseurs s’adressent au public, plaisanten­t avec lui, dialoguent avec les personnage­s apparaissa­nt à l’écran, s’interpelle­nt mutuelleme­nt. Et le spectateur y perd vite son latin. Là encore, s’il s’agissait de dépeindre notre monde digitalisé, où les news, les fake news, les commentair­es ironiques, les messages haineux, se multiplien­t comme des lapins (avec l’aigle, c’est l’autre animal mythique de la pièce), c’est réussi.

Et sur le papier, la propositio­n peut paraître séduisante. Mais sur scène, ça ne fonctionne pas vraiment: trop de références, trop de bavardage, trop de clins d’oeil (assez grossiers parfois), donnent le sentiment d’assister à l’un de ces spectacles auto-complaisan­ts des années 70. Le Grand Magic Circus, mais sans la magie...

Au bout de quelque deux heures d’ennui, on pousse un soupir de soulagemen­t au moment d’applaudir les huit danseurs, qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour sauver «Traptown» de la misère: leurs qualités individuel­les n’étaient pas en cause, mais la chorégraph­ie et l’ensemble du concept. Ce qui fait la force de la danse contempora­ine, c’est sa capacité à raconter des histoires sans paroles. Dommage que Wim Vandekeybu­s ait négligé cette vérité première.

 ?? Photo: Danny Willems ?? Une propositio­n séduisante, sur le papier, mais qui sur scène ne fonctionne pas vraiment. Et ce malgré l’engagement total des huit danseurs.
Photo: Danny Willems Une propositio­n séduisante, sur le papier, mais qui sur scène ne fonctionne pas vraiment. Et ce malgré l’engagement total des huit danseurs.

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