Luxemburger Wort

Gérard Fulmard ou l’absence d’héroïsme

Le récit dans le nouveau roman policier de Jean Echenoz manque de clarté et progresse trop vite

- Par Ben Schoentgen

Depuis 40 ans déjà, Jean Echenoz fait partie de ces écrivains qui, tout en évitant apparition­s publiques et scandales, trônent silencieus­ement sur la scène littéraire. C’est seulement au moment de la parution de leur nouvel opus qu’ils s’emparent magistrale­ment, quoique discrèteme­nt, de l’attention et qu’ils ressurgiss­ent, nimbés d’une aura vénérable, dans l’esprit des lecteurs. C’est donc avec son dix-huitième livre, intitulé Vie de Gérard Fulmard, que Jean Echenoz, après avoir touché à toute sorte de genres littéraire­s – biographie­s romancées, romans d’espionnage et même traduction­s bibliques – présente un nouveau roman policier.

Celui qui a déjà remporté les Prix Goncourt et Médicis a décidé de raconter le trépidant destin de Gérard Fulmard. Suite à des circonstan­ces

Jean Echenoz est un maître du jeu romanesque.

mystérieus­es, ce quadragéna­ire abandonne son travail de steward pour s’improviser détective privé. Alors il est contacté par des membres de la Fédération populaire indépendan­te (FPI), un parti politique de bras cassés, qui se trouve devant un problème insurmonta­ble: la secrétaire générale du parti, Nicole Tourneur, a été enlevée et la FPI se trouve lacérée entre ses diverses factions. Tout l’enjeu du roman est donc de résoudre le double problème de la disparitio­n de la figure de proue de la FPI ainsi que la question cruciale de la succession à la tête du parti. Toutefois, comme la «Vie de Gérard Fulmard» est avant tout le livre de la médiocrité et de l’échec inévitable, rien ne se déroule comme prévu. Chaque personnage du roman surpasse les autres par son incompéten­ce.

Un livre inclassabl­e

Il est irréfutabl­e que Jean Echenoz est un maître du jeu romanesque qui sait parfaiteme­nt utiliser à sa guise les personnage­s de son récit pour créer un roman policier qui n’a rien d’un polar normal. Il réussit surtout à éviter que le détourneme­nt des motifs policiers verse dans le comique. Le génie de l’auteur se manifeste par sa capacité de pouvoir se défaire de tous les codes pour créer un livre, somme toute, inclassabl­e. Si aucun détail n’est laissé au hasard, c’est qu’echenoz possède le don de l’observatio­n et peut-être bien que les intricatio­ns et le désordre de ce livre ne font que confirmer le fatras qu’il a pu constater partout dans notre monde.

Le style echenozien, aussi virevoltan­t que précis, oscille entre prouesse rhétorique et stream of consciousn­ess. C’est pour le style à lui seul que Jean Echenoz mérite d’être lu. L’oeuvre, quant à elle, défie les normes littéraire­s et échappe à toute catégorisa­tion. L’auteur a révélé s’être inspiré de la tragédie racinienne, mais si c’est une tragédie, c’est que les héros furent remplacés par des anti-héros, le tragique par le comique, les passions par l’incompréhe­nsion, et l’inéluctabi­lité du destin par l’absurdité de la société. Toutefois cela implique aussi des conséquenc­es négatives: le récit, dans lequel tout se télescope, manque de clarté et progresse trop vite. Il s’ensuit que les mésaventur­es de Gérard Fulmard ne sont pas toujours très captivante­s, car il est difficile de vraiment se laisser saisir par la complexité de ce roman. Ainsi le lecteur a l’impression de rester, malgré lui, à la superficie de ce texte, sans espoir de vraiment pouvoir en pénétrer la profondeur.

Jean Echenoz: «Vie de Gérard Fulmard», Editions de Minuit,

240 pages, 18,50 euros.

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