Histoire d’un géant déchu
Dans «Un automne de Flaubert» Alexandre Postel a su éviter les dangers de la biographie romancée
«Un géant qui abat une forêt pour en faire une boîte» selon Dumas fils, «l’idiot de la famille» selon Sartre, Gustave Flaubert est de nos jours unanimement considéré comme une des figures de proue de la littérature française. L’auteur de Madame Bovary continue à exercer une fascination indélébile sur notre époque, car il incarne le type même de l’écrivain qui travaille sa prose avec autant de rigueur et de précision qu’un sculpteur qui cisèle sans répit son bloc de marbre.
Flaubert n’était pas un prodige, mais au contraire il n’a atteint la grandeur et la gloire qu’à force d’efforts sempiternels. Quel simple mortel oserait s’identifier au génie de Victor Hugo ou de Rimbaud? Flaubert cependant a quelque chose de foncièrement humain, car c’est grâce à ses propres peines incessantes qu’il s’est lui-même élevé sur l’olympe littéraire.
S’inspirant de faits avérés – rapportés par Flaubert lui-même dans son abondante correspondance – Alexandre Postel rapporte un bref, mais passionnant épisode de la vie du grand écrivain.
En 1875, âgé alors de 53 ans, le romancier est en proie à des difficultés financières. Mais il est surtout accablé par la mélancolie et la solitude. Ressentant l’absence de ses anciens compagnons déjà morts et regrettant la médiocrité de ses contemporains, y compris Victor Hugo – quelle déception! – Flaubert est forcé de quitter sa tour d’ivoire pour faire face à la banalité de la vie, alors qu’il n’a cessé de la fustiger dans ses livres.
Nous entrevoyons alors derrière la figure du géant littéraire un vieillard grincheux, naïf et impuissant que l’auteur se complaît à comparer à un enfant: «Lui qui, en ses moments d’exaltation, se rêvait en Christ de l’art, en athlète du style, en dernier des Latins, découvre soudain son reflet dans le miroir du monde et ce reflet est celui d’un enfant, d’un petit garçon à peine capable de faire ses besoins. C’est plus qu’une humiliation: une déchéance.»
C’est ainsi qu’il décide de se réfugier pendant quelques mois dans le village breton de Concarneau, où il consacre ses journées en grande partie à des observations
Alexandre Postel: «Un automne de Flaubert», Gallimard,
ISBN: 9782072850202
144 pages, 15 euros biologiques en compagnie de deux amis scientifiques. Grâce à cette fuite du monde, l’écrivain retrouve l’inspiration et se met à écrire le conte médiéval que nous pouvons lire de nos jours sous le titre de la «Légende de Saint Julien l’hospitalier». Tel est le début de la renaissance du génie flaubertien, auquel seule l’écriture peut apporter la liberté.
Un roman bien recherché
Alexandre Postel est enseignant de lettres et il a dûment prouvé qu’il connaît ses classiques sur le bout des doigts. En maniant avec finesse sources premières, comme la correspondance de Flaubert ainsi que des journaux de l’époque, et littérature secondaire, il a su créer un roman extrêmement bien recherché et documenté. Mais son plus grand mérite est d’avoir su en faire un roman délicieusement subtil. Cette même finesse littéraire se retrouve dans le style. Alexandre Postel n’a certainement pas essayé de faire du Flaubert, mais l’écriture à la fois légère et précise ne fait que renforcer la beauté immaculée de son roman.
En fin de compte, il n’importe guère que le livre tourne autour d’un des plus grands écrivains français, car Alexandre Postel a su éviter les dangers de la biographie romancée. L’on a l’impression qu’il s’agit d’un roman philosophique dont Flaubert est, presque par hasard, le protagoniste. Le choix de Flaubert comme personnage central s’avère être non une fin en soi, mais seulement un moyen d’autant plus efficace pour aborder l’indicible complexité de la condition humaine. «Un automne de Flaubert» est avant tout un roman qui parle de la mort, de la solitude et de l’oubli, mais sans jamais oublier l’allégresse et la beauté de la vie.