Luxemburger Wort

Est libre celui qui possède le temps

Dans son livre «Dans les forêts de Sibérie» Sylvain Tesson raconte un confinemen­t choisi

- Par Marc Thill

Confinés oui, mais libres de tourner des pages. Profitons, en ces jours particulie­rs, de lire et même de relire des livres qui nous ont marqués, comme celui de l’auteur français Sylvain Tesson: «Dans les forêts de Sibérie» paru en 2011 et qui a valu à l’écrivain-voyageur le Prix Médicis pour le meilleur essai de l’année.

Une nouvelle version poche de ce journal d’ermitage, écrit dans une petite cabane en bois aux fins fonds de la Sibérie, est ressortie juste avant la fermeture forcée des étals des libraires. On peut commander cet ouvrage chez nos libraires évidemment en ligne, et le «feuilleter» également en ligne en libre accès à la Bibliothèq­ue nationale du Luxembourg.

Entre février et juillet 2010, l’auteur de «La panthère des neiges», son dernier livre, grand succès littéraire et Prix Renaudot 2019, s’installe pour six mois dans une isba, loin de tout, sur les bords du lac Baïkal. Il fait ainsi l’expérience de l’immobilism­e. Pour celui qui jusque-là ne faisait que parcourir le monde («L’axe du loup», «Une vie à coucher dehors») c’est sans doute un exercice difficile, mais qui lui permettra peut-être par après de mieux affronter un autre moment difficile de sa vie, son grave accident en 2014, une chute d’un toit à Chamonix. Son traumatism­e crânien lui demandera un long rétablisse­ment à l’hôpital.

Tant qu'il y aura des cabanes en bois...

Dans son livre, Tesson fait l’éloge de la vie solitaire. «Tant qu’il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu», écrit-il dans son journal de confinemen­t en laissant infuser le temps comme un thé qu’il déguste devant la fenêtre carrée de sa cabane.

Beaucoup de réflexions naîtront par la suite de la fumée de ce thé que l’auteur partage avec ses lecteurs. «Et si la liberté consistait à posséder le temps?» se demande-t-il. «Et si la richesse revenait à disposer de solitude, d’espace et de silence?» rajoute-t-il en touchant un point essentiel de nos vies rythmées par les montres, les smartphone­s et les séries en ligne.

Libéré de télévision – à l’époque elle avait peut-être encore plus d’importance qu’aujourd'hui – Tesson découvre qu’une fenêtre est plus transparen­te qu’un écran. Une mésange vient régulièrem­ent toquer sur sa fenêtre pour réclamer quelques miettes ...

«Le luxe de l’ermite, c’est la beauté», note-il dans son cahier en posant son regard jour après jour, heure après heure sur des splendeurs absolues. Un lac gelé, des montagnes enneigées, une lumière incroyable.

Ce petit livre éblouissan­t et poétique, joyeux et plein de sens, fait sans doute rêver et envier certains d’entre nous. Mais comme le constate Tesson, les sociétés n’aiment pas les ermites. Pourquoi? Parce qu’ils nient la vocation de la civilisati­on, parce qu’ils souillent le contrat social. L’ermite est perçu comme un marginal, un obscur, une personne bizarre, il ne se plie pas aux exigences de la société, il sort du conformism­e, il quitte le troupeau grégaire.

Contrairem­ent au confinemen­t choisi de Tesson nous vivons actuelleme­nt un confinemen­t forcé. Même s’il y une différence entre ces deux formes d’éloignemen­t, faisons comme Tesson pour affronter cette épreuve: ne luttons pas contre le temps.

Sylvain Tesson, «Dans les forêts de Sibérie»,

304 pages,

Folio Poche,

8€

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Photo: AFP Sylvain Tesson: «Ne luttons pas contre le temps».
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