La fièvre du déconfinement
Entre soulagement et inquiétude, une partie de l’europe s’apprête à vivre un moment clé de la pandémie
Le virus avait instauré un temps en suspens, qui dans notre perception s’était détaché des jalons du calendrier. Or voilà qu’advient une date charnière, le 11 mai, qui restaure une temporalité objective par son effet de césure en plusieurs pays, au Luxembourg, en France, en Belgique et ailleurs, où les autorités publiques ont décidé des avancées décisives en matière de «déconfinement». Ce 11 mai est perçu dès lors comme une sorte de «jour J», et force est de reconnaître que nous sommes troublés face à cette irruption. Pourquoi?
Le «déconfinement» est un événement ambigu, parce qu’il est vécu comme une libération, une délivrance, mais la liberté partiellement retrouvée est lourde d’interrogations, dont la plus fondamentale est aussi la plus redoutable: à quels risques la délivrance nous expose-t-elle?
Nos interrogations portent sur les fondamentaux de la crise: qu’est-ce donc qu’une pandémie? Est-ce un processus que l’on peut précisément dater, de sorte qu’il y aurait un «jour J» où soudain on peut lever la garde, renvoyer les enfants à l’école, retrouver des habitudes professionnelles et sociétales? Sur base de quels savoirs les instances publiques sont-elles habilitées à décréter ce jour particulier? Sur base de quels objectifs plus ou moins explicités? Ceux qui nous gouvernent sont-ils maîtres de la situation, et quelle confiance leur accordons-nous? Des interrogations de fond, qui débouchent sur des questions graves: les mesures de déconfinement vont-elles mettre les enfants en danger? Les enfants vont-ils nous mettre en danger, nous, leurs parents?
La phobie du retour
Nous vivons un moment particulier face à la pandémie, et nous ne savons pas bien qu’en penser. D’où nous vient ce trouble? D’un paradoxe: il faut supposer une situation de normalisation telle que l’on peut assumer le retour des enfants dans les établissements scolaires alors même que la persistance du virus fait perdurer une situation d’exception.
Ceux qui voient advenir ce lundi avec appréhension ne sont pas une minorité de grands anxieux. En France, les psychologues observent depuis plusieurs jours un accroissement sensible des consultations, de la part de personnes qui disent leur «peur» du «retour» – dans la rue, à l’école, au bureau. Les psychiatres parlent de troubles phobiques, et les comparent à l’anxiété qu’éprouvent les victimes de traumatismes qui après une période d’hospitalisation doivent revenir à la normalité. En Espagne, on parle du «symptôme de la cabane» pour désigner la réticence à quitter le domicile.
Il faut souligner maintenant que le «déconfinement» n’est pas un moment de rupture mais d’étape, et qu’il s’agit d’un processus progressif et variable suivant les pays, et au sein même de certains pays, comme la France, où le Grand Est – en «zone rouge» sur la carte épidémiologique – vivra aujourd’hui un déconfinement relativement moindre. En Moselle et Meurtheet-moselle ainsi les collèges resteront fermés, et les parcs ne seront pas rouverts à la promenade.
France: libération sous conditions De façon générale en France, les crèches rouvrent dans la limite de dix enfants maximum, et avec port du masque obligatoire pour les encadrants. Un retour en classe des élèves de maternelle et d’école primaire sera possible à partir de ce mardi, par groupes de 10 à 15 élèves. Dans les départements classés en vert, les collèges pourront rouvrir à partir du 18 mai, en commençant par les classes de 6e et 5e. Un examen de la situation, fin mai, permettra d’envisager un retour aux lycées à partir de juin.
De nombreuses restrictions seront encore effectives, liées à la hantise d’une seconde vague pandémique, la virus ayant déjà fait plus de 26.000 morts en France. De nombreux commerces (coiffure, habillement, librairies...) pourront de nouveau accueillir des clients, en respectant des mesures de sécurité. Les restaurants, cafés et bars par contre restent fermés.
Les déplacements inférieurs à 100 km ou à l’intérieur du département de résidence seront autorisés, et sans attestation dérogatoire. Dans les transports publics, le port du masque sera obligatoire à partir de l’âge de onze ans. Les rassemblements publics ou privés sont limités à dix personnes.
Belgique: la récré dure encore
Chez nos voisins belges la plupart des commerces vont rouvrir aujourd’hui, mais les règles de distanciation sociale restent de mise. Le port du masque est fortement conseillé. Les «lieux festifs», cafés, restaurants, bars, restent fermés. Dans le centre de Bruxelles, la vitesse sera limitée à 20 km/h et la priorité donnée aux cyclistes et aux piétons. Dimanche, jour de la fête des Mères, chaque famille était autorisée à accueillir quatre invités. Les écoles ne rouvriront qu’à partir du 18 mai.
Par-delà la Belgique, les Paysbas par contre ont opté pour une réouverture partielle aujourd'hui des écoles primaires et des crèches. Il y aura reprise d'activités dans des secteurs professionnels tels les salons de coiffure, les écoles de conduite automobile, les kinésithérapeutes ou encore les bibliothèques.
Allemagne: signaux inquiétants
L'allemagne enregistrait hier des signaux inquiétants, quelques jours après avoir décrété le début du retour à la normale face au coronavirus. L'institut national de virologie Robert Koch a fait état d'une hausse du taux d'infection, repassé autour de la zone considérée comme potentiellement dangereuse, de 1 à 1,1. Ce taux mesure la moyenne de gens qu'une personne atteinte par le Covid-19 va à son tour contaminer. Un chiffre inférieur à 1 suggère que le nombre d'infections dans le pays tend à la baisse, alors qu'un niveau supérieur suggère une tendance à la hausse. Ce chiffre est passé de 0,7 à plus de 1 en quelques jours seulement. Vendredi dernier, en Rhénanie du Nord-westphalie, un important foyer de Covid-19 a vu le jour à Coesfeld dans une usine de transformation de viande, dont plus de 100 des 1.200 employés ont été infectés. La levée des restrictions a été reportée au 18 mai dans ce canton.
Espagne: déconfinement relatif
L’espagne est l’autre grand pays qui ce lundi vivra un début de déconfinement. La moitié des 47 millions d’espagnols peuvent désormais organiser des réunions familiales ou amicales, dans la limite de dix personnes. Terrasses de bars et de restaurants pourront rouvrir avec une capacité réduite. Ces dispositions ne concernent ni Madrid ni Barcelone, dont les régions sont les plus touchées par l’épidémie qui a fait plus de 26.000 morts dans le pays. Seuls les déplacements à l’intérieur des provinces sont autorisés. Cinémas et théâtres restent fermés. Les écoles ne reprendront qu’en septembre.
Le Covid-19 a fait au moins 300.000 morts dans le monde.