Luxemburger Wort

«Pour une réforme des soins de santé»

L’ancien basketteur devenu chef de service dans une clinique bruxellois­e pose son regard sur la crise actuelle

- Par Christophe Nadin

Quoi de neuf docteur? La question adressée à Marc Schiltz n’a jamais semblé aussi pertinante tant on avait perdu de vue celui qui fut l’un des meilleurs basketteur­s au pays dans les années 90 et parce que son métier ne ressemble plus vraiment à celui d’il y a deux mois.

Chef du service médecine physique et de réadaptati­on de la clinique privée Saint-jean de Bruxelles, Marc a vu son quotidien bouleversé depuis l’arrivée de l’épidémie. «On dispose de 29 lits destinés à des patients victimes D’AVC ou d’accidents graves. On affichait complet au début de la crise, mais le service s’est vidé petit à petit».

Occupé à gérer la rééducatio­n ambulatoir­e, l’ancien basketteur s’est réorienté. «On a bien sûr traité les grosses urgences notamment à travers des consultati­ons et bilans par électromyo­graphie, c’est-à-dire des tests neurologiq­ues lorsqu’on souffre par exemple d’une grosse sciatique ou si on s’est sectionné un nerf de la main, mais on s’est tourné de plus en plus vers la téléconsul­tation.»

Sa famille pas épargnée

Aux premières loges de cette crise sanitaire, Marc Schiltz semble avoir dribblé le virus. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde dans son entourage. «Mon épouse a été testée positive et est restée 15 jours à la maison. Elle est anesthésis­te à l’institut Bordet et s’est retrouvée en première ligne en intubant des patients. Elle a vraiment été malade trois à quatre jours. Je pense que deux de nos trois enfants ont aussi été infectés et moi j’ai eu un syndrome grippal. J’ai fait un test sérologiqu­e négatif, mais j’ai des doutes sur la fiabilité.»

Plus de peur que de mal donc. «On n’est pas vraiment dans la population

Marc Schiltz est chef de service à la clinique Saint-jean, le premier hôpital de Belgique à avoir proposé aux patients contaminés au covid-19 un suivi à distance. à risque mais ça nous a conduit à éviter les contacts avec les grands-parents.» Une réadaptati­on des comporteme­nts qui s’est également répercutée sur les hôpitaux. «On a pris nos précaution­s avec de moins en moins de visites. Mon service a été épargné, ce qui n’est pas le cas d’autres.» La Belgique semble payer un lourd tribut à cette épidémie à la lecture des bilans quotidiens. Le cafouillag­e sur la cacophonie liée à la réouvertur­e des maisons de repos ou la problémati­que des masques a parfois jeté le discrédit sur l’action du gouverneme­nt. «En Belgique, avec neuf ministres de la Santé, c’est propice à avoir des problèmes de communicat­ion. Dans les armées en crise, ce n’est pas pour rien que les protocoles sont relativeme­nt courts», analyse le médecin qui fait partie de la commission médicale de sa clinique. «On a dû se réadapter au fil des lignes de conduite qui changeaien­t tout le temps. Mais c’est facile de jeter la première pierre. Nous sommes dans une situation inconnue avec un mode de contagion inconnu. On a beau se plonger dans toute la littératur­e mais on ignore combien de temps un patient va rester contagieux. Chaque pays, chaque hôpital interprète les valeurs différemme­nt. Alors oui, il y a toujours moyen de faire mieux. Au niveau des masques, le gouverneme­nt a certaineme­nt compris l’intérêt d’avoir des stocks.»

Non au financemen­t à l’acte

Derrière ces problèmes logistique­s se cache un malaise bien plus profond pour Marc Schiltz. «La Belgique a besoin d’une réforme des soins de santé. Le financemen­t à l’acte comme on le connaît ici et au Luxembourg débouchera sur une médecine à deux vitesses avec des gens qui pourront encore payer et d’autres qui n’auront droit qu’aux soins de base. Il faut trouver un autre système. C’est illusoire de dire que l’on va payer les uns pour guérir et les autres pour prévenir. Si la prévention est bonne, on traite moins. Ceux qui font le traitement ont intérêt à avoir le plus gros volume pour pouvoir survivre car le financemen­t des hôpitaux est lié à ça. Ils ne sont donc pas intéressés par la prévention parce qu’alors il y aurait moins de patients.»

La crise actuelle met en lumière certaines pratiques mais semble aussi avoir un dénominate­ur commun en Europe. «La plupart du personnel soignant a une motivation intrinsèqu­e pour bien faire les choses. Quand je vois le nombre de médecins qui ont travaillé bénévoleme­nt ou qui ont aidé à faire un boulot d’infirmier ou de nettoyage, ça montre bien le degré de motivation.»

On a beau se plonger dans toute la littératur­e, mais on ignore combien de temps un patient va rester contagieux.

Le Luxembourg passe, lui, pour l’un des bons élèves européens. L’avis d’un observateu­r avisé «étranger»: «C’est difficile de comparer les chiffres avec un échantillo­n de taille différente. Cela dépend beaucoup de la présence ou non de foyers de contaminat­ion. On le constate dans les Bundesländ­er en Allemagne, mais avoir une gestion centrale permet d’éviter certains redoubleme­nts de tâches.» Avant de relever un nouveau défi dans quelques mois dans un hôpital universita­ire à Bruxelles, Marc Schiltz va tenter de redonner à son service un bon mode de fonctionne­ment dans les semaines à venir. «Je suis moins occupé à traiter les gens qu’à savoir comment on va sortir de cette situation», ponctue-t-il.

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