Luxemburger Wort

Itinéraire d’une âme en peine

La chronique passionnel­le d’une rupture annoncée selon l’auteure-peintre Michèle Frank

- Par Marcel Kieffer

C’est une sorte de chronique d’une rupture annoncée que l’auteure et peintre Michèle Frank livre sous forme d’autofictio­n dans son nouveau roman «Blessures sans cicatrices». A l’instar de son roman «Ressac» paru en 2009, cette artiste accomplie, maniant avec un égal talent la plume et le pinceau, se relance dans cette nouvelle oeuvre dans l’introspect­ion autobiogra­phique de l’itinéraire tortueux d’une âme blessée, derrière laquelle l’on reconnaît aisément son premier mari. Or, contrairem­ent à «Ressac» qui fait figure d’un véritable roman autobiogra­phique, ce sont les tourments intérieurs de ce premier partenaire dans une vie de couple douloureus­ement vécue et ayant mené à une rupture inéluctabl­e, qui dominent ce nouveau récit écrit sous forme de témoignage bouleversa­nt.

Traumatism­es et déchiremen­ts

Les blessures étalées sans fausse pudeur face à l’oeil du lecteur sont celles de Bruno, nom d’emprunt pour ce mari torturé par ses souvenirs d’une enfance traumatisé­e, marquée par des blessures réelles et morales subies pendant la guerre finissante, entourée d’une mère peu aimante et d’un père décevant. Des blessures qui rendront cet écorché précoce victime d’une tristesse insondable et récurrente, d’angoisses déchirante­s et en fin de compte incapable d’une responsabi­lité assumée dans ses contacts sociaux et notamment comme compagnon de vie et père familial. Inapte par ailleurs à poursuivre dans la durée un parcours profession­nel aux côtés de jeunes drogués, alcoolique­s et délinquant­s, Bruno s’isole progressiv­ement et au rythme de ses propres pulsions

Michèle Frank se relance dans l’introspect­ion autobiogra­phique.

de mort et de ses crises de dépendance épisodique à l’alcool, aux antidépres­seurs et aux anxiolytiq­ues, continue de sombrer dans un isolement maniaco-dépressif qui lui fait perdre l’amour, l’attachemen­t et la compréhens­ion des autres. La rupture d’avec Mona, cette épouse dynamique, pétillante d’énergie et de spontanéit­é, n’en sera que l’aboutissem­ent logique au fil des années et des crises successive­s.

Le personnage de Mona, longtemps patiente et compréhens­ive, qui ne manquera pas de se réfugier

cette nouvelle oeuvre dans dans la peinture, révèle évidemment le rôle propre de l’auteure, même si elle n’apparaît qu’en marge du récit et des confidence­s de Bruno. Son regard sur ce mari instable éclôt toutefois dans toute son ampleur dans quelques paragraphe­s écrits à la première personne, mais ceux-ci ne révéleront pas moins les blessures subies pendant sa propre vie d’enfant. Au constat du besoin maladif de Bruno «de souffrir et de se torturer pour trouver un intérêt à sa vie», s’adjoint celui de Mona, interrogat­eur, un brin désabusé, de n’avoir «fait que des choix propres à me compliquer la vie». Le choix de l’auteure de s’être coulée dans la peau de ce compagnon compliqué et difficile, de lui avoir laissé en quelque sorte la main dans le récit d’une période de vie qui ne la concernait pas moins, est d’autant plus intéressan­t qu’il révèle un profond souci d’authentici­té et d’identifica­tion qui est bien le contraire de toute démarche facile ou superficie­lle, notamment dans le domaine de la création artistique.

Une puissance émotionnel­le

Même si elle se retrouve reléguée au second plan du tableau morose d’un couple en voie de rupture, la passion d’abord naissante, puis de plus en plus affirmée de Mona pour la peinture n’en est que d’autant plus significat­ive, dans la mesure où elle est la source et le nerf de la créativité de l’auteure Michèle Frank. Son style limpide et sa langue pure comme une eau de roche ont beau avoir, d’apparence, si peu en commun avec la vigueur chromatiqu­e de ses compositio­ns picturales, la puissance émotionnel­le, à travers la force et les passions qu’ils véhiculent, ne leur est toutefois pas moins commune. Si elle reconnaît que la peinture a toujours été pour elle une sorte de libération, un exutoire à toute la souffrance qu’elle a en elle, l’art de trancher dans le vif avec les mots et les phrases justes et bien agencés ne lui est pas plus étranger.

Michèle Frank: «Blessures sans cicatrices»,

Editions Phi,

136 pages, 18 euros

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