Le cheval blessé de Macron à Tripoli
Face aux échecs militaires du maréchal Haftar, le «protégé» de Paris, les rapports de force en Libye sont bouleversés
Il existe quatre raisons au moins de porter notre attention sur la Libye: ce pays est proche voisin de l’europe sur les rives méridionales de la Méditerranée, ce voisin est l’extrémité d’une artère par où des milliers de migrants subsahariens tentent d’affluer en Europe, le voisin hélas sombre dans le chaos et la France est en train de perdre la guerre dans laquelle elle s’est fourvoyée pour éviter son effondrement.
Voilà plus de dix ans que la France tente de «normaliser» la Libye, et depuis lors, de Sarkozy à Macron en passant par Hollande, trois présidents déjà s'y sont cassé les dents. C’est comme si la Libye pour la France était une fatalité, qui ces jours-ci prend pour Macron les traits d’un acteur défaillant : Paris face aux deux belligérants qui se disputent le pays avait misé sur le maréchal Haftar. Or, le maréchal ne fut pas le bon cheval, celui-ci accumulant les échecs aux courses dans lesquelles il est engagé.
Rappelons la donne libyenne. En 2011, les «printemps arabes» sont à l’oeuvre, mais en Libye le colonel Kadhafi oppose une répression féroce à toute tentative de renouveau, qui à Benghazi pourrait déboucher sur une tuerie. Le 10 mars, le président Nicolas Sarkozy reçoit l’appel à l’aide d’un «Conseil national de transition», suite à quoi L’OTAN lâche ses avions. Lors de la prise de Tripoli par les rebelles, Mouammar Kadhafi fuit la capitale, est capturé et lynché.
Une mêlée générale
Or, la mort du «raïs» donne libre cours aux forces centrifuges qui en sous-sol minaient le pays, qui devient le théâtre d’une mêlée générale. La tribalisation de l’appareil sécuritaire a provoqué une dissémination de ses intervenants et la généralisation de la violence.
Deux parties se disputent le pays: d’une part, le gouvernement d’union nationale (GNA) basé à Tripoli et dirigé par Fayez al-sarraj, soutenu par les Nations unies; d’autre part, le clan Est, dirigé par le gouvernement parallèle du maréchal Haftar à Tobrouk. Ce camp est soutenu par l’egypte et les Emirats arabes unis notamment, pour reconnaissance de sa lutte contre les groupes djihadistes.
Cet ancien proche de Kadhafi, qui a pris la tête d’une coalition d’anciens officiers, d’influentes tribus de l’est et de libéraux antiislamistes, a réussi à évincer l’etat islamique de Benghazi et à contenir les déplacements des groupes armés vers le Sahel. Mais Haftar, après un certain nombre d’avancées militaires, subit des revers et perd le terrain conquis, de sorte que la situation connaît un nouveau changement. Et en Libye, comme en Syrie ou au Yémen, cette situation se complique du fait des affrontements entre grandes puissances, le pays étant devenu théâtre de maintes rivalités au sein de la sphère musulmane. Face au recul de son « favori » Haftar, face à son propre recul du fait de la pression accrue des puissances impliquées, la France reconsidère ses cartes et compte ses alliés. Quelles sont désormais les lignes de force dans le «grand jeu» libyen?
Les services de la société Wagner Les Etats-unis, qui eux aussi considéraient le maréchal comme un rempart contre le djihadisme, ont longtemps fait preuve de bienveillance à son égard. Or, les échecs militaires de Haftar semblent mettre à mal les bonnes dispositions de Washington, d’autant plus que les Américains voient d’un mauvais oeil le soutien dont le maréchal bénéficie à Moscou. L’egypte de même, effarouchée par l’influence que la Turquie aussi voudrait exercer en Libye, procède à son tour au rééquilibrage de ses soutiens en faveur de Fayez alsarraj. Quels que soient cependant les rapports de force et les intérêts en jeu, Moscou et Ankara apparaissent comme des leviers décisifs, qui face à la Libye pourraient sceller une entente sur le modèle de ce qui fut tenté pour la Syrie lors du processus d’astana.
C’est cette entente surtout qui irrite Paris, la France craignant que les présidents Poutine et Erdogan n’avancent une solution qui privilégierait leurs propres visées géostratégiques au détriment des intérêts – sécuritaires avant tout – de la France et de l’europe. La Russie est accusée d’avoir envoyé plusieurs milliers de mercenaires en Libye pour soutenir le maréchal par l’intermédiaire de la société de sécurité privée russe Wagner.
Le président turc Erdogan a affirmé hier que «les derniers développements montrent que Haftar peut être exclu du processus de paix à tout moment». Or, Erdogan vient de parler avec Donald Trump, lors d’un entretien téléphonique à l’issue duquel Ankara et Washington ont convenu de «poursuivre leur coopération étroite» en Libye.
Tout indique donc que le maréchal Haftar, longtemps considéré comme « l’homme fort » de la Libye, est en passe d’en devenir le maillon faible, au grand dam de Paris assistant ainsi à l’effacement d’un homme que trois présidents français ont voulu considérer – à tort ou à raison – comme un obstacle à l’avancée de l’islam radical sur le flanc sud de l’europe.