Quand le prof disparaît du radar
Des enseignants en France sont soupçonnés d’avoir négligé leurs obligations pédagogiques durant le confinement
Il faudrait être bien candide sans doute pour croire que la scolarité des enfants n’aura pas été mise à mal par le confinement, et qu’elle reprend son cours ordinaire à l’heure d’un «déconfinement» qui à beaucoup d’égards est une tentative de réintégrer une forme de normalité dans une situation qui relève largement encore de l’état d’exception.
En France ainsi, des enseignants se voient soupçonnés de ne pas avoir endossé toutes leurs obligations pédagogiques durant la période de confinement, tandis que le «déconfinement» pour sa part est marqué par la «géométrie variable» de sa mise en oeuvre: les écoles de France pour l’essentiel ont rouvert leurs portes, mais il en reste qui les tiennent closes, les instances communales considérant que la donne sanitaire demeure trop préoccupante pour permettre le retour en classe des élèves.
Concernant le dossier des établissements réfractaires à la réouverture, le ministère de l’education a fait déférer devant les tribunaux administratifs 35 municipalités refusant de rouvrir leurs écoles, malgré le déconfinement scolaire débuté le 11 mai. C’est notamment le cas en Corse et en Guadeloupe. Plusieurs dizaines de maires s’étaient opposés à cette injonction, critiquant un protocole sanitaire trop lourd, un danger trop grand pour la santé des élèves et des personnels, estimant par ailleurs que toute décision en la matière engage une responsabilité trop lourde pour les élus locaux.
Trop tôt pour un retour en classe Il faut préciser que la France se constitue, aussi, de ses «territoires d’outre-mer», comme la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte ou La Nouvelle-calédonie. Et que les problèmes qu’y soulève une pandémie ne sont pas forcément les mêmes qu’en France métropolitaine.
Mais il est où mon prof?
En Guadeloupe ainsi, le maire des Abymes, une des plus grandes communes de l’île, a réagi en ces termes à l’injonction de réouverture adressée par la préfecture et le rectorat: «si le préfet et le recteur sont en mesure d’assurer la sécurité sanitaire des enfants, du personnel et des familles, qu’ils viennent réquisitionner et assurer eux-mêmes cette affaire. Nous nous préparons, quant à nous, à être prêts en septembre». Le 4 mai, lors d’une «conférence territoriale de l’action publique», presque tous les élus locaux avaient signé une motion validant un retour à l’école en septembre, au motif que «les conditions n’étaient pas réunies pour une rentrée dès le 11 mai».
Signe des interrogations subsistantes: l’association des maires de France (AMF) demande «des clarifications urgentes» au gouvernement sur les modalités de réouverture des écoles et l’organisation de l’accueil extrascolaire cet été.
C’est une enquête sur le travail des enseignants durant le confinement toutefois qui pourrait faire du «bruit» auprès de ceux-ci, des parents et de l’opinion publique en général, en cette France qui jamais n’a manqué une occasion d’ironiser sur les «privilèges» des enseignants et des «fonctionnaires» en général. Une enquête signée France 2 (France Info), qui donne à entendre que parmi les 800.000 enseignants appelés à donner des cours à distance durant la période du confinement, certains n’auraient «donné aucune nouvelle à leurs élèves pendant plus de deux mois».
Une famille en région parisienne, qui veut rester anonyme, affirme que deux des professeurs de leur fille ont « séché leurs propres cours». La fillette attendait des cours, du moins des instructions, rien ne venait, et quand on s’adressait aux enseignants en question on restait sans nouvelle aucune. « C’était désolant » dit la mère, d’autant plus amère qu’elle est infirmière et qu’elle fait partie donc d’une profession qui pour sa part s’est distinguée par un engagement exceptionnel, et qui pour cette raison même ne pouvait être à domicile pour se substituer à des enseignants défaillants.
Des réactions indignées
Les auteurs de l’enquête disent avoir recueilli des dizaines de témoignages d’élèves, de parents et de proviseurs, qui dénoncent une forme d’abandon de poste de certains enseignants, sans raison apparente. Des parents s’adressent à un recteur d’académie pour signaler des «élèves livrés à euxmêmes depuis le 16 mars à cause de l’absence d’un prof d’anglais ». Une lycéenne évoque un professeur d’histoire quin’aurait donné aucun travail et aucun cours en vidéoconférence». 71 parents, encore, écrivent au proviseur d’un lycée en région parisienne, pour signaler que «certains profs – rares heureusement – sont totalement sortis des radars». Et de demander: «comment peut-on perdre le professeur de mathématiques en Terminale S ou le professeur de sciences économiques en Terminale ES?»
S’interrogeant à leur tour sur les raisons de cette «disparition», les enquêteurs n’excluent pas un état de santé diminué ou/et des réticences à utiliser des outils informatiques que certains enseignants croient, à tort ou à raison, ne pas pouvoir maîtriser. Le ministère français de l’education nationale admet que 4 à 5 % des enseignants dans le public n’ont pas travaillé pendant le confinement. Soit près de 40.000 profs «décrocheurs».
Cet «absentéisme» relatif n'ôte rien au mérite des milliers d'enseignants qui durant le confinement ont fait preuve d’un exemplaire dévouement au service des élèves. C'est ce que disent, en substance, des profs indignés par l'enquête de France 2. Leurs réactions se sont multipliées durant la journée d'hier, tous déplorent que l'on n'ait pas donné la parole, aussi, aux enseignants «présents».
4à5%des enseignants dans le public n’auraient pas travaillé lors du confinement. Soit près de 40.000 profs décrocheurs.