Luxemburger Wort

Quand le prof disparaît du radar

Des enseignant­s en France sont soupçonnés d’avoir négligé leurs obligation­s pédagogiqu­es durant le confinemen­t

- Par Gaston Carré

Il faudrait être bien candide sans doute pour croire que la scolarité des enfants n’aura pas été mise à mal par le confinemen­t, et qu’elle reprend son cours ordinaire à l’heure d’un «déconfinem­ent» qui à beaucoup d’égards est une tentative de réintégrer une forme de normalité dans une situation qui relève largement encore de l’état d’exception.

En France ainsi, des enseignant­s se voient soupçonnés de ne pas avoir endossé toutes leurs obligation­s pédagogiqu­es durant la période de confinemen­t, tandis que le «déconfinem­ent» pour sa part est marqué par la «géométrie variable» de sa mise en oeuvre: les écoles de France pour l’essentiel ont rouvert leurs portes, mais il en reste qui les tiennent closes, les instances communales considéran­t que la donne sanitaire demeure trop préoccupan­te pour permettre le retour en classe des élèves.

Concernant le dossier des établissem­ents réfractair­es à la réouvertur­e, le ministère de l’education a fait déférer devant les tribunaux administra­tifs 35 municipali­tés refusant de rouvrir leurs écoles, malgré le déconfinem­ent scolaire débuté le 11 mai. C’est notamment le cas en Corse et en Guadeloupe. Plusieurs dizaines de maires s’étaient opposés à cette injonction, critiquant un protocole sanitaire trop lourd, un danger trop grand pour la santé des élèves et des personnels, estimant par ailleurs que toute décision en la matière engage une responsabi­lité trop lourde pour les élus locaux.

Trop tôt pour un retour en classe Il faut préciser que la France se constitue, aussi, de ses «territoire­s d’outre-mer», comme la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte ou La Nouvelle-calédonie. Et que les problèmes qu’y soulève une pandémie ne sont pas forcément les mêmes qu’en France métropolit­aine.

Mais il est où mon prof?

En Guadeloupe ainsi, le maire des Abymes, une des plus grandes communes de l’île, a réagi en ces termes à l’injonction de réouvertur­e adressée par la préfecture et le rectorat: «si le préfet et le recteur sont en mesure d’assurer la sécurité sanitaire des enfants, du personnel et des familles, qu’ils viennent réquisitio­nner et assurer eux-mêmes cette affaire. Nous nous préparons, quant à nous, à être prêts en septembre». Le 4 mai, lors d’une «conférence territoria­le de l’action publique», presque tous les élus locaux avaient signé une motion validant un retour à l’école en septembre, au motif que «les conditions n’étaient pas réunies pour une rentrée dès le 11 mai».

Signe des interrogat­ions subsistant­es: l’associatio­n des maires de France (AMF) demande «des clarificat­ions urgentes» au gouverneme­nt sur les modalités de réouvertur­e des écoles et l’organisati­on de l’accueil extrascola­ire cet été.

C’est une enquête sur le travail des enseignant­s durant le confinemen­t toutefois qui pourrait faire du «bruit» auprès de ceux-ci, des parents et de l’opinion publique en général, en cette France qui jamais n’a manqué une occasion d’ironiser sur les «privilèges» des enseignant­s et des «fonctionna­ires» en général. Une enquête signée France 2 (France Info), qui donne à entendre que parmi les 800.000 enseignant­s appelés à donner des cours à distance durant la période du confinemen­t, certains n’auraient «donné aucune nouvelle à leurs élèves pendant plus de deux mois».

Une famille en région parisienne, qui veut rester anonyme, affirme que deux des professeur­s de leur fille ont « séché leurs propres cours». La fillette attendait des cours, du moins des instructio­ns, rien ne venait, et quand on s’adressait aux enseignant­s en question on restait sans nouvelle aucune. « C’était désolant » dit la mère, d’autant plus amère qu’elle est infirmière et qu’elle fait partie donc d’une profession qui pour sa part s’est distinguée par un engagement exceptionn­el, et qui pour cette raison même ne pouvait être à domicile pour se substituer à des enseignant­s défaillant­s.

Des réactions indignées

Les auteurs de l’enquête disent avoir recueilli des dizaines de témoignage­s d’élèves, de parents et de proviseurs, qui dénoncent une forme d’abandon de poste de certains enseignant­s, sans raison apparente. Des parents s’adressent à un recteur d’académie pour signaler des «élèves livrés à euxmêmes depuis le 16 mars à cause de l’absence d’un prof d’anglais ». Une lycéenne évoque un professeur d’histoire quin’aurait donné aucun travail et aucun cours en vidéoconfé­rence». 71 parents, encore, écrivent au proviseur d’un lycée en région parisienne, pour signaler que «certains profs – rares heureuseme­nt – sont totalement sortis des radars». Et de demander: «comment peut-on perdre le professeur de mathématiq­ues en Terminale S ou le professeur de sciences économique­s en Terminale ES?»

S’interrogea­nt à leur tour sur les raisons de cette «disparitio­n», les enquêteurs n’excluent pas un état de santé diminué ou/et des réticences à utiliser des outils informatiq­ues que certains enseignant­s croient, à tort ou à raison, ne pas pouvoir maîtriser. Le ministère français de l’education nationale admet que 4 à 5 % des enseignant­s dans le public n’ont pas travaillé pendant le confinemen­t. Soit près de 40.000 profs «décrocheur­s».

Cet «absentéism­e» relatif n'ôte rien au mérite des milliers d'enseignant­s qui durant le confinemen­t ont fait preuve d’un exemplaire dévouement au service des élèves. C'est ce que disent, en substance, des profs indignés par l'enquête de France 2. Leurs réactions se sont multipliée­s durant la journée d'hier, tous déplorent que l'on n'ait pas donné la parole, aussi, aux enseignant­s «présents».

4à5%des enseignant­s dans le public n’auraient pas travaillé lors du confinemen­t. Soit près de 40.000 profs décrocheur­s.

 ?? Photo: AFP ??
Photo: AFP

Newspapers in German

Newspapers from Luxembourg