Un prince intrépide
Bicentenaire de la naissance du prince Henri des Pays-bas – Ce prince qui ne voulut que le bien des Luxembourgeois.
Celui, qui de son vivant et même audelà, est appelé affectueusement «de gudde Prënz Hary»¹, préside aux destinées du Luxembourg de 1850 jusqu’à sa mort en 1879. Souvent exalté pour son engagement pour la cause luxembourgeoise, le prince Henri est quelque peu boudé après sa mort, avant d’être célébré en héros lors du centenaire de l’indépendance du pays en 1939. Fin du XXE et début du XXIE siècle, son implication réelle dans les affaires de l’etat est nuancée. Et de constater, que c’est précisément à ce moment, que sa cote de popularité remonte de manière fulgurante.
Le bicentenaire de la naissance du prince Henri d’orange-nassau, prince des Pays-bas (1820-1879), est l’occasion pour jeter un regard circonspect sur le rôle diversifié, assumé par le «Lieutenant du Roi»². Et ceci sur les plans national et international, à une époque où l’indépendance du Grand-duché, récemment acquise, se trouve en sursis. Par ailleurs, le milieu du XIXE siècle, qui marque aussi l’entrée dans l’ère de l’industrialisation et du développent économique, pose de nouveaux jalons. Le prince Henri devient dès lors un acteur incontournable de l’histoire.
Henri voit le jour le 13 juin 1820 au palais de Soestdijk, non loin d’amersfoort. Troisième fils du couple héritier des Pays-bas, son père, le futur Guillaume II, roi des Pays-bas et grand-duc de Luxembourg, est le fils aîné de Guillaume Ier. Quant à sa mère, la princesse Anna Paulowna, elle est la fille du tsar Paul de Russie. Entouré de ses frères et sa soeur, il passe une enfance insoucieuse.
Dès son adolescence il est destiné à embrasser une carrière d’officier dans la marine royale. Très jeune, il commence à sillonner mers et océans des quatre coins du monde. Fort timide et réservé, ses supérieurs le considèrent comme un militaire accompli et engagé. Assez ambitieux, il est nommé vice-amiral, puis grand-amiral, avant d’être promu commandant en chef de la marine en 1852, d’où le surnom de «Henri le navigateur».
Lorsque Guillaume II décède en 1849, après un bref règne de neuf ans, c’est Guillaume III, le frère aîné de Henri, qui lui succède. Le nouveau souverain ne suit en rien la ligne de conduite entamée par son prédécesseur, un «roicitoyen» populaire, soucieux du devenir des Luxembourgeois, mais renoue hélas avec le régime autoritaire de Guillaume Ier.
Quand le 5 février 1850 Guillaume III désigne Henri comme son lieutenant-représentant pour le Grand-duché, conformément à l’article 42 de la Constitution de 1848, son objectif est avant tout d’avoir une personne de confiance sur place, dont la mission consiste à veiller à ses intérêts personnels et de défendre ses prérogatives. Elle entraîne bien entendu des avantages évidents pour les instances luxembourgeoises, qui disposent ainsi d’un interlocuteur direct avec le Roi.
Venant de La Haye, le prince Henri entre à Luxembourg le 22 octobre 1850, le temps de la mise en état du château de Walferdange, qui sert de demeure royale et princière. Le 24 octobre il prête le serment constitutionnel devant la Chambre des députés. D’emblée, le nouveau prince-lieutenant précise dans son discours d’investiture sa volonté «[d’] assurer le bonheur du Pays». Il souligne à cette occasion, et va le répéter maintes fois, qu’il n’est «que» le représentant du Roi: «Animé de Sa sollicitude constante, c’est Son autorité Souveraine que Nous exerçons parmi vous»³. Il justifie donc son pouvoir restreint, devant lui-même se soumettre aux ordres de son frère. En 1853 il confie par exemple que c’est à contre-coeur qu’il se voit obligé de se séparer du Gouvernement présidé par Jean-jacques Willmar.
Cette même année Henri épouse la princesse Amélie, fille du duc Bernard de Saxeweimar-eisenach. Très cultivée, elle s’engage pleinement dans de nombreuses causes charitables. Elle est également d’un précieux conseil pour son époux, qu’elle seconde avec sagesse et sagacité. Le couple Henri-amélie inspire confiance et gagne vite en sympathie. Les Luxembourgeois apprécient chez eux proximité, gentillesse, amabilité et leur grande simplicité. Au goût d’aucuns cependant, l’influence d’amélie sur Henri, donc sur les affaires de l’etat, est quelque peu trop prononcée.
Toutefois Henri se voit malgré lui contraint d’appliquer la politique réactionnaire de son frère, qui tient compte ou pas de ses remarques pertinentes, voire réticentes. Guillaume a certes de l’estime, même de l’affection pour lui, mais il le traite comme un subalterne. Henri se voit constamment tiraillé entre le souverain autocrate et les sollicitations du Gouvernement. Par contre ce qui est sûr, c’est que Henri s’implique corps et âme dans sa mission. Il a la trempe de son père.
Les points de discorde entre Guillaume III et Henri sont nombreux. Pour preuve, la vaste correspondance4 qu’il adresse à son frère. C’est notamment le cas lors de la crise provoquée par Guillaume III en 1856, qui dissout alors la Chambre des députés et abroge la Constitution de 1848. Et le Prince d’assumer pleinement son rôle de conciliateur, ouvrant la voie à la Constitution de 1868, celle-là même qui est toujours en vigueur au Grand-duché, révisée par la suite, il s’entend.
Voilà que 1857 est une année charnière pour le chemin de fer, qui se traduit par la fondation des «Chemins de fer Guillaume-luxembourg», rejoint plus tard par la société «Prince Henri». Le Prince s’investit pleinement dans le développement du rail, dont les débuts ne vont pas se faire sans mal.
Un autre souci majeur qui préoccupe le Prince et le Gouvernement est la guerre austro-prussienne de 1866, qui risque de faire entrer le Grand-duché dans la Confédération de l’allemagne du Nord, d’autant plus, que dans la capitale se trouve toujours stationnée une garnison prussienne.
S’ensuit la «Crise luxembourgeoise» de 1867, où Napoléon III propose à Guillaume III d’acquérir le Grand-duché pour la somme de cinq millions de florins, afin de poursuivre sa politique expansionniste. Le Roi se déclare de prime abord d’accord avec l’offre, ne montrant qu’un intérêt modéré pour le Luxembourg et ayant besoin d’argent. Et c’est ici que le Prince intervient de façon stratégique. D’abord il délègue la princesse Amélie chez son cousin, le tsar Alexandre II, afin d’obtenir son soutien. Par après, le Prince va tout faire pour retarder le départ du président du Gouvernement, le baron Victor de Tornaco, qui doit se rendre à La Haye où le marché est censé être conclu et dont la présence est requise. Heureusement, le véto exprimé par Bismarck fait capoter le projet de vente de justesse.
Cette histoire connaît un dénouement heureux grâce à la Conférence de Londres, lors de laquelle est signé le Traité du 11 mai 1867. Il garantit l’autonomie et l’indépendance du Luxembourg et implique le retrait de la garnison prussienne, ainsi que le démantèlement de la forteresse.
Lorsque éclate la guerre franco-prussienne en 1870, Bismarck remet le Traité de Londres en question. L’indépendance du Luxembourg se voit une nouvelle fois menacée. Mais le prince Henri ne tarde pas à réagir en recontactant Alexandre II. Les efforts diplomatiques portent leurs fruits et le Grand-duché échappe à une quelconque annexion.
La disparition de la princesse Amélie en 1872, qui succombe à une infection pulmonaire au château de Walferdange, affecte profondément son époux. Avec lui, c’est toute une nation qui la pleure.
Le 25e anniversaire de la lieutenance du prince Henri donne lieu à de grandes réjouissances organisées à Luxembourg début octobre 1875. La presse luxembourgeoise de l’époque ne tarit pas d’éloges à son égard et se fait en cela l’interprète de tous les Luxembourgeois.
Ainsi par exemple, le «Luxemburger Wort» du 11 octobre 1875 reproduit dans ses colonnes le discours5 prononcé par Charles Arendt, architecte de l’etat. Dans son apologie il énumère les nombreux mérites auxquels le Prince a été associé. Il cite notamment les créations de la Banque internationale, de la Caisse d’epargne, du Conseil d’etat, de l’évêché, de l’institut. Il y mentionne les concessions des premières lignes de chemins de fer, les deux révisions constitutionnelles, le Traité de Londres de 1867. Pour conclure, il évoque les réalisations de «(…) 264 kilomètres de voies ferrées, 273 kilomètres de routes neuves, la construction de 95 écoles communales et près de 100 églises».
En 1878, le prince Henri convole en secondes noces avec la princesse Marie de Prusse. Cette union déplaît fortement aux Luxembourgeois, le souvenir de la princesse Amélie étant toujours vivace.
Moins de cinq mois après son remariage, Henri s’éteint le 14 janvier 1879 au Château de Walferdange. Agé de 59 ans, il est emporté par la rougeole, qu’il semble avoir contracté en rendant visite aux écoliers de la localité avant Noël. Certains journaux luxembourgeois ne mentionnent que furtivement son décès. Cela tranche étonnamment avec l’hommage rendu jadis à la princesse Amélie. De confession protestante, le prince Henri est inhumé en grande pompe dans le caveau royal de la Nieuwe Kerk à Delft. Il ne laisse pas de progéniture et Guillaume III ne nomme pas de successeur, mais
Le navigateur aguerri
Dévoué à la Nation
et le sien. Néanmoins, deux phrases clés illustrent l’engagement et le patriotisme du Prince: «Le prince Henri était, avant tout, dévoué au Grand-duché; je crois bien qu’on peut dire, qu’aucun Luxembourgeois n’était meilleur patriote que lui.» Et de conclure: «Le prince Henri a toujours été populaire dans le Grand-duché, comme il l’était aussi dans les Pays-bas; il n’a pas eu besoin de la rechercher par les moyens qu’emploient les ambitieux. Il l’a obtenue parce qu’il la méritait.»7
Son héritage – notre héritage
De son vivant, on dit le prince Henri très riche. Sa fortune personnelle et la liste civile dont il jouit, lui permettent de nombreux investissements et il se montre fort généreux envers les plus démunis. A cette époque la sidérurgie prend de l’essor, le secteur ferroviaire est en plein développement, la situation économique se trouve en assez bonne santé. Le pays est devenu prospère. Beaucoup d’institutions et d’instances d’un Etat démocratique et moderne viennent de voir le jour ou sont en phase de le devenir. A la mort du prince Henri, le Luxembourg a trouvé sa place dans le concert des nations. L’avenir semble prometteur.
Maintenant encore, sa mémoire demeure vivante en bien des lieux des Pays-bas et du Grand-duché, notamment à Walferdange où il résidait d’ordinaire d’octobre à février. Ce souvenir se concrétise en 2020 au Luxembourg, notamment par l’émission par la Banque centrale, d’une pièce de monnaie commémorative aux effigies du Grand-duc Henri et du Prince Henri8, celles qui ornaient jadis les billets de 100 francs luxembourgeois.
Il n’est pas étonnant de constater, que de nombreux ouvrages et articles lui soient consacré encore de nos jours, tel par exemple celui du site internet du Ministère des affaires étrangères des Pays-bas9. On y découvre, parmi les illustres personnages de l’histoire du Royaume, un portrait très flatteur du Prince et de ses épouses successives dans un chapitre qui leur est consacré.
Et s’il ne fallait retenir qu’une seule caractéristique ponctuée par l’union du Prince Henri avec le Luxembourg, faire fi de la liste non exhaustive dressée par Charles Arendt ou encore mettre en sourdine les paroles élogieuses d’emmanuel Servais, ce serait pour sûr son engagement indéfectible pour le maintien de l’indépendance du pays.
Nul doute, Henri fut un digne représentant du Roi. Bien plus qu’un simple régent, il fut un prince intrépide, sans cesse préoccupé du bienêtre des Luxembourgeois et du devenir du Grand-duché. Le prince Henri nous a légué un héritage inestimable et cet héritage porte un nom: Liberté.
¹ ²
³
Traduisez: le bon prince Henri
Constitutions du Grand-duché de Luxembourg de 1848, 1856 et 1868 (art. 42 resp. art. 49): «Le Roi Grand-duc peut se faire représenter par un Prince de Sang qui aura le titre de Lieutenant du Roi et résidera au Grandduché.»
Proclamation du prince Henri, Mémorial législatif et administratif du Grand-duché de Luxembourg du 6 novembre 1850
Lettres des 8 et 28 avril 1856, Koninklijk Huisarchief, Den Haag
«Aperçu chronologique des principaux faits politiques et administratifs qui se sont passés dans le Grand-duché de Luxembourg de 1850 à 1875, sous la Lieutenance de S.A.R. Monseigneur le prince Henri des Pays-bas», Discours prononcé le 7 octobre 1875 à l’institut grandducal
Autobiographie de feu Emmanuel Servais, ancien ministre d’etat, janvier 1879 (publiée en 1895). Imprimerie Jean-pierre Nimax
Tel quel dans le texte original, sous-entendu la popularité
Pièce de monnaie commémorative ayant cours légal d’une valeur faciale de deux euros; www.bcl.lu Nederlandwereldwijd, Deel 26. Hendrik prins van Oranjenassau en 1. Amalia prinses van Saksen-weimareisenach en 2. Maria prinses van Pruisen (2017); www.nederlandwereldwijd.nl