La promesse virale
On sort, lentement, chancelant, non pas de la pandémie mais du confinement. On en sort sonné, incrédule, comme d’une secousse dont on a constaté la puissance sans en cerner les ressorts. Il faudra du temps encore pour saisir ce que nous avons vécu là, explorer notre attitude face à la crise sanitaire et les attentes que le confinement a fait naître, entre raison et déraison.
A celle-ci, le corona a ouvert un boulevard: générant un état d’exception, le virus a libéré l’espace dans lequel l’irrationnel pouvait s’épanouir, qui à son tour a suscité des attentes exorbitantes. Souvenons-nous, c’était il y a trois mois, c’était hier: de belles âmes avaient promis que notre retraite, au sens quasi spirituel du terme, déboucherait sur un nouveau matin du monde, au terme d’un ermitage au cours duquel la collectivité, penchée sur ses errements, ses excès, ses folies, se soumettrait à une révision en profondeur. Les belles âmes nous firent miroiter de pieuses images d’une humanité qui à l’issue de son examen de conscience serait bonifiée, magnifiée par l’épreuve, une humanité qui durant trois mois d’introspection aurait repéré ses pathologies petites et grandes, et qui dès lors aurait appris à vivre autrement, à travailler moins, à s’aimer davantage. C’était, il faut en convenir, beaucoup demander à un virus.
Ce qu’en réalité nous découvrons, après être sortis de nos tentes, c’est un paysage en feu. L’amérique en guerre, révulsée par la mort de George Floyd, «black» écrasé par la botte d’un flic fou. Mais c’est une guerre de l’amérique contre l’amérique, une prise de conscience éruptive de son histoire, de sa violence intrinsèque, de son racisme atavique. Or le feu a gagné en quelques jours de vastes pans du monde – la Belgique se met à interroger son passé colonial, le Luxembourg même crie sa colère. Qu’est-ce donc qui nous mobilise tant? N’y avait-il pas plus urgent à faire, vraiment, que de déboulonner des statues qui hier encore, ne signifiant pas grandchose, ne pouvaient heurter grand-monde?
Deux lectures sont possibles de notre émoi. La première: le confinement a généré l’attente d’une sorte d'épiphanie, et c’est un crépuscule que nous découvrons, une nation se brûlant en effigie. L’europe, déconfinée et désenchantée, s’asperge de cendres et se jette à son tour au feu. Ce serait une lecture cynique des événements. Mais une autre lecture est possible: notre retraite a aiguisé le regard, et attisé l’allergie aux maux entrevus, le racisme, la haine, la violence, la bêtise, ces fléaux dont le «cluster» ces jours-ci est aux Etats-unis, mais qui sans doute ont l’universalité d’une pandémie.
Un regard neuf donc, et une sensibilité nouvelle, et une intolérance de même à ce qui est intolérable. Une sorte de vertu régénérée, qui pour l’heure trouve dans la condamnation du racisme un objet en quoi elle puisse se fixer, mais qui porterait en germe une insurrection contre mille autres calamités, collectives d’abord mais intimes aussi. Ne seraitpas là précisément l’«épiphanie» promise? Assortie toutefois d’un avertissement, qui nous dirait que le monde nouveau n’est pas accompli encore, mais que le travail au contraire ne fait que commencer?
Le confinement
a fait germer une sensibilité
nouvelle à l’intolérable.