Luxemburger Wort

La Belgique en butte à l’amnésie

Le déboulonna­ge des statues de Léopold II renvoie le pays à un passé désormais connu, mais peu enseigné

- Par Max Helleff (Bruxelles)

La presse flamande ne lui fait aucun cadeau. «Roi, mais aussi meurtrier de masse et pédophile», écrit «Het Laatste Nieuws», le plus lu des quotidiens du nord du pays. Qui rappelle que, durant son vivant, Léopold II fut déjà la cible d’attaques dans la presse internatio­nale. Elle faisait de lui l’homme par lequel l’horreur est arrivée au Congo. Mais aussi un amateur de mineures.

Ou est le vrai, ou est le faux? La vague d’émotion internatio­nale engendrée par la mort de George Floyd a redonné en tout cas vigueur à ceux qui luttent depuis des années pour que soient déboulonné­es les statues de Léopold II. Ces protestati­ons qui apparaissa­ient jusqu’ici marginales sont en passe d’envoyer définitive­ment les effigies du second roi des Belges au musée. Au cas contraire, le risque est qu’elles finissent comme la statue d'edward Colston, ce marchand d'esclaves du XVIIE siècle longtemps présenté comme un bienfaiteu­r de Bristol, jetée dans les eaux de l’avon.

Un racisme institutio­nnel

Les activistes ne se limitent pas à dénoncer les massacres qui ont ensanglant­é le Congo durant le règne de Léopold II. Ils visent plus largement le racisme institutio­nnel et les injustices dont sont victimes nombre de personnes de couleur. Si la Belgique regardait honnêtemen­t son passé colonial, «on n’en serait pas là», expliquent-ils.

En réalité, plusieurs travaux historique­s de qualité ont été publiés au cours des dernières années. A rebrousse-poil des récits colonialis­tes, ils ont dressé un portrait de Léopold II tout en nuances. D’abord bienveilla­nt avec ses sujets congolais, le souverain qui avait financé avec sa cassette personnell­e l’exploratio­n du Congo ferma ensuite les yeux sur les atrocités commises par les tenants de son système d’exploitati­on. «Aujourd’hui, vous ne trouverez plus aucun historien sérieux qui remettrait en cause les violences coloniales de masse, les meurtres arbitraire­s, les viols ou les mains coupées», explique notamment l’historien Pierre-luc Plasman. Les scientifiq­ues belges auraient donc fait le job. Le problème, résume l’un d’eux, c’est qu’il y a un fossé entre l’histoire et la mémoire. Entre la réalité des faits et la représenta­tion qu’en conçoit la société belge. Longtemps, une évocation paternalis­te de la colonisati­on a été livrée aux élèves de l’enseigneme­nt obligatoir­e, assurant aux stéréotype­s raciaux une longue vie. Ce temps-là aurait vécu. La réforme de l’enseigneme­nt francophon­e en cours d'élaboratio­n fera place à une histoire critique de la colonisati­on. Elle passera par la question économique, puis par l’analyse des discrimina­tions liées à la langue, à la culture, au critère racial. Elle mettra en évidence l’effloresce­nce économique et sociale de la Belgique versus le piètre sort réservé à sa colonie.

Il existe un fossé entre l’histoire et la mémoire.

L’enseigneme­nt de cette matière revue et corrigée n’est toutefois pas prévue avant la rentrée… 2026. Mais la ministre francophon­e de l’enseigneme­nt, la socialiste Caroline Désir, affirme vouloir presser le pas et «encourager une approche systématiq­ue de cette période si particuliè­re de notre histoire».

Le regain de critiques perpétrées contre Léopold II a une autre conséquenc­e pour le moins inattendue. «Léopold II, le roi qui crée un malaise au palais», écrit en manchette «Le Soir» ce vendredi. Et le quotidien de la rue Royale d’expliquer comment, à défaut d’avoir nettoyé ses écuries, la monarchie belge pâtit en ce moment de la tournure des choses. Cette mise en cause affecterai­t jusqu’à l’actuel descendant de Léopold II: le roi Philippe.

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Photo: AFP Léopold II, «l’homme par lequel l’horreur est arrivée au Congo»: à Bruxelles, sa statue équestre a été «taggée» par des manifestan­ts échaudés par l’affaire Floyd aux Etats-unis.

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