Le point de non-retour?
Des sociologues diront si notre cohésion est, comme l’affirma Fernand Etgen lors de la fête nationale, une vertu proprement luxembourgeoise. Les philosophes pour leur part diront si la vertu est une forme de grâce, ou le produit d’une nécessité.
Concédons, en attendant leurs conclusions, que les Luxembourgeois ont fait montre, durant les trois premiers mois de la crise sanitaire, d’un comportement remarquable. Ils furent rapides à saisir, d’instinct, la nature de la menace, et prompts à deviner la discipline dont il faudrait faire preuve pour la contenir. Ils furent conséquents, dans la mesure où l’autorité publique le fut de même. Plus qu’ailleurs, ces jours derniers. Le Grand-duché en effet a renoncé aux fastes traditionnels d’une fête qui lui est essentielle, alors que la France a autorisé une fête de la musique qui l’était bien moins. Certes, «comparaison n’est pas raison», mais force est de reconnaître que l’exécutif luxembourgeois s’est montré clairvoyant en annulant une célébration, tandis que la France faisait montre d’inconséquence en permettant une récréation qui inéluctablement allait rassembler des foules.
Une lourde inconséquence, révélatrice d’une ambiguïté générale quant à la conduite à tenir en ce moment nouveau de la pandémie. De cette ambiguïté, le discours du ministre français de la Culture fut le symptôme accompli, quand il s’adressa à ses concitoyens pour leur dire, en substance, «fêtez, mais soyez raisonnables». C’était absurde bien sûr, c’était contradictoire en ses termes, et le produit de cette absurdité apparut quand on vit les foules débridées qui dans la capitale et ailleurs firent le choix de la convivialité au détriment du principe de précaution. Un débordement en conséquence d’une décision démagogique et dangereuse.
Quelle que soit l’ampleur des libertés permises ou reconquises, c’est le principe même du «déconfinement» qui est problématique. Car il y a une contradiction foncière entre celui-ci et la persistance de la menace que le confinement visait à contrer. On peut comprendre – ou non – les mobiles de l’autorité publique qui en dépit de cette persistance décide de «lâcher la bride». On sait que ni le travail ni la formation des enfants ne peuvent être gelés indéfiniment, et l’on sait que la discipline de même n’est pas durable, pas même en situation d’exception, et qu’il advient un moment où les pouvoirs publics doivent «lâcher du lest». Ce que ces pouvoirs ont ignoré par contre, en
France, c’est que le «déconfinement» serait total ou ne serait pas – la demi-mesure est impossible en la matière. On ne peut à la fois convier à la fête et exiger la tempérance.
Il ne s’agit pas ici de remettre en question le déconfinement en tant que tel. Mais de souligner qu’il s’apparente à une ouverture de vannes, et que dans une situation où l’on se trouve confronté à des conduites de masse, irrationnelles souvent, on ne peut escompter que la liberté donnée s’exercera à pas comptés. Pour paradoxal et désespérant que cela puisse paraître, nous avons accédé à un moment particulièrement délicat de la crise. Le moment où l’on prétend au retour à la normalité dans une situation qui en vérité demeure anormale.
Déconfinement: des vannes ont été ouvertes, qu’on ne
pourra refermer.