Homo homini lupus?
D’ailleurs
L’homme n’est pas un être débonnaire, au coeur assoiffé d’amour […], mais un être, au contraire, qui doit porter au compte de ses données instinctives une bonne somme d’agressivité». Dixit Freud, dans Malaise dans la civilisation occidentale (1929), un ouvrage prémonitoire au regard de la résurgence, dans nos sociétés actuelles, des anciens démons qui ont nom nationalisme, racisme, racialisme, séparatisme, communautarisme, etc. L’agressivité serait-elle donc constitutive de la nature humaine, comme le soulignait déjà Hobbes? L’homme serait-il vraiment un loup pour l’homme?
Toujours est-il que cette tendance à vouloir discriminer, dominer, asservir, martyriser voire tuer son prochain représente, aux yeux du père de la psychanalyse, la menace la plus sérieuse pour la survie de la civilisation. Dans sa dernière théorie des pulsions, Freud comprend l’agressivité comme une manifestation de l’union-désunion de l’amour porté par la pulsion de vie (Eros) et de la haine portée par la pulsion de mort (Thanatos). Ce qui signifie, par exemple, que nous avons en nous la capacité ambivalente de haïr ceux-là mêmes que nous aimons, et que cette agressivité puisse, dans certains cas et sous certaines de ses formes, même se retourner contre soi, comme l’atteste le suicide, lequel peut être considéré comme une forme d’auto-agressivité. Quant à la guerre, forme suprême, organisée et collective de l’agressivité, il s’avère qu’elle est, quelque part, «naturelle», comme l’affirmera plus tard l’anthropologue Marvin Harris.
Pour combattre cette violence atavique (du latin vis: force brutale indomptable), Freud envisageait deux remèdes: la rééducation et la sublimation, c’est-à-dire la transformation de la pulsion mortifère en force créatrice par dérivation de la charge pulsionnelle vers autre chose – ce qui implique tout un travail psychique, lequel, une fois mené à bien, permettra, pour reprendre les termes de Levinas, de «voir un visage en y entendant déjà ‚Tu ne tueras point‘».
Trois ans après la parution de l’ouvrage-clé de Freud, Bergson note que «la cohésion sociale est due, en grande partie, à la nécessité pour une société de se défendre contre d’autres» (Les Deux Sources de la morale et de la religion). Ce qui veut dire en clair que le lien social est d’abord défensif, la cohésion de toute communauté humaine étant due à l’hostilité commune de ses membres à l’égard de ceux qui n’en font pas partie. C’est là que l’on touche du doigt les racines du racisme.
En tant qu’inclination à la violence corporelle ou verbale qui fait que nous sommes capables de nous en prendre à l’intégrité physique ou psychique de l’autre, avec, de surcroît, la disposition à attaquer le premier («la violence, comme disait Sartre, se donne toujours comme n’ayant pas commencé, la première violence c’est toujours l’autre qui la commet»), l’agressivité est à la fois une force et une faiblesse, et souvent, «la force des faibles», qui croient, comme Napoléon, à tort ou à raison, que «la meilleure défense, c’est l’attaque».
Ceci dit, le penseur principal du concept d’agressivité est sans conteste l’éthologue Konrad Lorenz. Selon lui, l’agressivité, dont les effets sont souvent identifiés à ceux de la pulsion de mort, est un facteur biologique inné d’affirmation de soi aux niveaux à la fois organique,