Luxemburger Wort

Hashim Thaçi, l’ami aux mains sales

Ancien héros de L’UÇK, le président kosovar est accusé de crimes de guerre par la justice internatio­nale

- Par Gaston Carré

Mars 1999. La guerre en Bosnie est révolue, et laisse à l’europe le souvenir cuisant de sa léthargie, de ses longues tergiversa­tions avant que les bombardier­s de L’OTAN en août 1995 enfin ne brisent un siège qui restera le visage de la forfaiture européenne devant l’agresseur serbe. Mais voilà que quatre ans plus tard, en 1999 donc, l’effritemen­t des Balkans provoque un nouveau séisme , au Kosovo cette fois, à son tour sous les coups de boutoir de la soldatesqu­e serbe.

Un drame nouveau est en cours, dont le «casting» est très vite établi : la Serbie une fois encore est le prédateur, et le Kosovo le mouton entre ses crocs. Les médias dès lors prêtent une oreille complaisan­te à ceux qui appellent à la résistance – au Luxembourg aussi, où une diaspora albanophon­e se montre très active. Les «résistants» prennent la route, direction Pristina, après avoir cousu sur leurs bérets l’écusson de L’UÇK, l’armée de libération du Kosovo. Il faudra quelque temps pour comprendre que les moutons ne sont pas des enfants de choeur, et il faudra plus longtemps encore pour s’aviser que leur leader est loin d’être irréprocha­ble.

Grand, fringant et ténébreux, Thaçi était un meneur à fort pouvoir de séduction, par la multiplici­té sans doute de ses visages: c’était un homme qui savait s’adresser aux chanceller­ies, où il incarnait la raison, pour ne pas dire la modération face à la sanguinair­e folie grand-serbe, mais cet homme qui portait beau à Strasbourg ou Bruxelles se retrouvait en uniforme dès son retour au Kosovo. Là il avait la main lourde, il éliminait sans pitié ses ennemis et pouvait se montrer cruel aussi face à de simples gêneurs. Car Thaçi évoluait au carrefour interlope de l’action politique, du combat armé et de la magouille mafieuse – il sera soupçonné d’avoir commandité l’éliminatio­n de rivaux trop bavards, tel Ilir Konushevci, tué en avril 1998 après avoir accusé Thaçi de tirer profit d’un trafic d’armes à destinatio­n de la guérilla, qui au demeurant aurait été financée par des trafics (cocaïne) organisés par le même Thaçi.

Des récits de «science-fiction»

Le grand ténébreux considérai­t ces accusation­s comme des récits de «science-fiction» et ne cessait de rappeler qu’il avait signé avec la communauté internatio­nale «tous les accords qui ont apporté la paix et la liberté à mon pays». Avec l’accord de paix conclu par le Kosovo, insiste-t-il, «les conditions ont été créées pour contribuer à la paix, à la stabilité et à la compréhens­ion des génération­s futures de notre peuple».

Les exactions de l’armé serbe à l’encontre des civils albanais avait déclenché une campagne de bombardeme­nts de L’OTAN qui contraigni­t 4 mai 2015: ministre des Affaires étrangères, Thaçi tente d’obtenir auprès de Jean Asselborn un soutien à sa demande d’adhésion du Kosovo à L’UE. le président serbe Slobodan Milosevic à ordonner le retrait de ses troupes. Le Kosovo fut placé sous administra­tion de L’ONU. En 2008, l’ancienne province serbe déclarait unilatéral­ement son indépendan­ce avec le soutien des Etats-unis et de la plupart des pays occidentau­x. Ce que n’a jamais accepté Belgrade.

La communauté internatio­nale cependant, après avoir accordé son soutien aux Kosovars, ne pouvait ignorer les atrocités commises par ceux-ci. Mercredi, le procureur du tribunal spécial pour le Kosovo a accusé Hashim Thaçi de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité présumés dans le cadre du conflit contre la Serbie. Il est notamment accusé de «meurtres, disparitio­n forcée de personnes, persécutio­ns et tortures». Un juge examine actuelleme­nt l’acte d’accusation pour décider s’il convient de confirmer les charges, procédure qui pourrait mener à une inculpatio­n en bonne et due forme.

Créé en 2015, le tribunal spécial pour le Kosovo est chargé d’enquêter sur les crimes présumés commis par la guérilla indépendan­tiste kosovare albanaise, principale­ment contre des Serbes, des Roms et des opposants albanais à la guérilla pendant et après le conflit de 1998-99. Président du Kosovo depuis 2016, Hashim Thaçi fait l’objet de dix chefs d’accusation émis le 24 avril et rendus publics mercredi.

100 meurtres

Ces accusation­s concernent également Kadri Veseli, l’ex-patron du renseignem­ent de la guérilla kosovare et actuel dirigeant du Parti démocratiq­ue du Kosovo (PDK), ainsi qu’un certain nombre d’autres personnes. D’après l’acte d’accusation, Hashim Thaçi, Kadri Veseli et les autres suspects accusés sont pénalement responsabl­es de près de 100 meurtres.

Dernier conflit en ex-yougoslavi­e, la guerre du Kosovo entre forces serbes et guérilla indépendan­tiste kosovare albanaise a fait plus de 13.000 morts. Le différend qui oppose la Serbie à son ancienne province méridional­e est l’un des conflits territoria­ux les plus épineux d’europe. Belgrade refuse obstinémen­t de reconnaîtr­e l’indépendan­ce proclamée en 2008 par le Kosovo après la guerre.

Lorsque l’acte d’accusation a été rendu public, Hashim Thaçi s’apprêtait à se rendre à Washington, où il devait participer à une rencontre avec son homologue serbe, Aleksandar Vucic. Les deux chefs d’etat sont engagés dans un processus de négociatio­ns directes, parallèlem­ent au «dialogue» mené entre Belgrade et Pristina sous l’égide de l’union européenne. La rencontre de samedi était présentée comme une étape essentiell­e dans la conclusion d’un «accord final» avec la Serbie. Son maintien est désormais incertain.

La guerre du Kosovo a fait plus de 13.000 morts.

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Photo: AFP Décembre 2018: Hashim Thaçi, président du Kosovo, lors d’une revue de troupe à Pristina.
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