«Il y a plusieurs effets positifs»
’Selon EY, les banques vont être un acteur de la résolution de la crise liée au Covid-19
Les prêts garantis par l’etat font partie des mesures exceptionnelles que le gouvernement a mis en place pour soutenir la trésorerie des entreprises mises à mal par la crise du Covid-19. Un bilan intermédiaire montre que cet instrument n’est pourtant pour l’instant que peu utilisé. Bernard Lhoest et Laurent Moscetti du cabinet EY analysent la situation.
Bernard Lhoest, Laurent Moscetti, d’après les informations issues de la réunion de la Commission des finances et du budget avec le ministre des Finances Pierre Gramegna, 200 entreprises ont demandé un prêt garanti, 100 prêts ont été accordés, pour un montant total de 30 millions d’euros. Avec plusieurs dizaines de milliers d’entreprises au Luxembourg, le recours à cet instrument semble plutôt faible. Qu’en dites vous?
Bernard Lhoest: Il est difficile de tirer des conclusions à l’heure actuelle, puisque les mesures ont été mises en place il y a quelques semaines. Nous ne sommes qu’au début de la crise; la crise économique n’a pas encore atteint son apogée. Donc d’un côté, les chiffres avancés indiquent effectivement que le nombre d’entreprises, qui ont eu recours à cet instrument d’aide, est faible si l’on considère le nombre total d’entreprises au Luxembourg. D’un autre côte, c’est peut-être une bonne nouvelle: le nombre d’entreprises qui s’en sort sans recourir à cet instrument d’aide reste élevé. Ces prêts sont demandés principalement par des sociétés en manque criant de liquidités et qui ont besoin de plus de liquidités pour survivre quelques mois.
Ne pensez-vous pas que ce nombre de demandes relativement faible reflète plutôt une hésitation de la part des entreprises à s’endetter alors que leur futur est encore très incertain?
B.L.: Oui et non. Jusqu’à présent, il y avait d’autres mesures d’aide pour les entreprises, comme notamment le chômage partiel ou le congé pour raisons familiales. Et pour de nombreuses sociétés, les frais liés au personnel sont les frais les plus importants. Ces autres mesures ont déjà apporté un certain soulagement aux entreprises. Les sociétés qui ont donc dû faire une demande de prêt sont les entreprises qui, malgré ces mesures, ont besoin de liquidités supplémentaires. Je ne pense pas que les entreprises ont peur de s’endetter – si elles doivent s’endetter, elles le feront.
D’autant que les conditions du prêt sont particulièrement attrayantes.
Le taux d’acceptation des demandes ne s’élève qu’à 50 %. Il ne semble dès lors pas être évident d’obtenir un tel prêt malgré la garantie d’etat. Quelles sont, selon vous, les raisons du refus?
B.L.: La garantie de l’etat s’élève à 85 % du montant du prêt; les banques prennent en charge 15 % du risque. Les banques font un prêt sur la base d’une analyse de risque, pour éviter un défaut de paiement. Je n’ai pas vu les dossiers qui ont été refusés; je ne peux donc dire si les banques n’ont pas pu faire suite parce que la demande ne respectait pas le cahier des charges établi ou s’il y avait un problème plus fondamental – notamment si la banque a jugé que l’entreprise n’était pas suffisamment robuste pour pouvoir rembourser le prêt.
Le taux d’intérêt se situe dans une fourchette comprise entre 1,5 à 3 %. Quelles sont les raisons de cette différence?
B.L.: Ces pourcentages sont principalement liés à la durée du remboursement. Plus la durée est longue, plus le taux est élevé. Les banques ne peuvent pas faire ce qu’elles veulent: les conditions du prêt comprennent les dispositions relatives à la couverture du risque, la durée des prêts et le taux maximum.
Comment les banques peuventelles limiter le risque de défaut, tout en remplissant les attentes du gouvernement? Il a été souvent répété que «les banques doivent faire partie de la solution»...
Laurent Moscetti: Les banques ont des mécanismes et des modèles d’analyse, qui leur permettent de prévenir le risque. Cela reste l’essence même du travail d’une banque de définir la solvabilité et la vision d’une entreprise. Aucune banque ne peut se prémunir du défaut zéro. Dans le cadre des conventions qui ont été présentées sur l’octroi de ces prêts garantis par l’etat, les banques sont incitées à aider les entreprises. Mais elles ne peuvent pas se prévenir complètement d’un risque de défaut.
Le risque de défaut est-il, à votre avis, un risque très réel pour les entreprises qui ont fait une telle demande de prêt?
B.L.: Ce qui est certain, c’est que dans les 50 % des demandes refusées, il y avait très certainement des entreprises pour lesquelles les banques ont jugées, sur base de
réflexions peuvent déjà être menées sur la cybersécurité, l’automatisation et la digitalisation notamment. Pour la suite, lorsque la normalité relative sera retrouvée, les banques vont pouvoir revoir tout le concept de la digitalisation. Des nouveaux services vont voir le jour. Un exemple: les banques ont des compétences sur l’analyse des données très poussées – pourquoi ne pas partager ces compétences avec leurs clients entrepreneurs pour améliorer la prédictabilité de leur situation? De nouvelles réflexions sur l’amélioration de la facilité d’accès des clients à des nouveaux services et produits vont très certainement être menées par les banques dans la période aprèscrise.
On pourrait dire que malgré les difficultés, la crise a un aspect bénéfique en poussant les banques vers l’automatisation et la digitalisation de manière plus rapide que prévu?
B.L.: Je suis un grand optimiste et je vois effectivement plusieurs effets positifs. Je suis persuadé que les banques vont être un acteur de la résolution de la crise. Avec l’aide des banques, le tissu économique va continuer à vivre. Pendant des années, depuis 2008, les banques avaient une image très négative. Peut-être que, dans les cinq ans à venir, les banques vont pouvoir jouer leur rôle pleinement et sauver le monde économique? Si les banques jouent le jeu et si la confiance revient, la crise pourra être maîtrisée. Dans le cas contraire, la situation sera terrible.