Une «urgence d’agir» au Québec
La Belle Province est confrontée à l’érosion des berges, aggravée par l’élévation du niveau de mer
«Chaque saison, on voit les dégâts, ça monte d’année en année …» Du haut de son petit talus de pelouse défiguré par les eaux, Monique Cyr rit jaune. Ce n’est pas un, mais trois murets que cette retraitée de 79 ans s’est fait emporter par les flots devant sa demeure proprette – et depuis peu sur pilotis – , installée à dix mètres à peine de la rive. En cause, des vagues sans cesse rampantes qui, ces dernières années, n’ont cessé de faire des ravages à Maria, une municipalité côtière d’à peine 1.500 âmes située sur la péninsule gaspésienne.
C’est que Monique fait partie des quelque 400.000 Québécois vivant à moins de cinq kilomètres de la côte, dans l’est du Québec, une proportion non négligeable pour une province de huit millions d’habitants. Et dans la Baie-des-Chaleurs, là où elle réside, une région qui jouxte le golfe du fleuve SaintLaurent, et l’Atlantique, la fréquence accélérée des caprices de la mer complique le quotidien.
En réalité, l’approche de Monique détonne: ses voisins ont toujours leur barricade de fortune, parfois en bois ou en béton, qui s’élève sur près de deux mètres. Elle, pourtant, a décidé de s’en passer. «Ça coûte cher, une balustrade, d’autant que c’est au citoyen de se la payer», regrette la femme aux cheveux blancs et courts.
L’érosion est à l’oeuvre
Sa solution? Miser sur la protection naturelle. «Ne piétinez pas mes foins de mer!», implore-t-elle ainsi, en pointant les zostères marines, ces petites plantes à tige verte mises en terre çà et là en bordure de son terrain qui, espère-telle, permettront de mieux contrer la prochaine tempête. N’empêche: la platebande de Monique, visiblement mal en point, montre bien que l’érosion des berges est à l’oeuvre. À moitié déracinés, ses rosiers chevauchent un tronc d’arbre échoué sur la berge.
En ce chaud après-midi de juillet, les vagues semblent inoffensives, certes. Mais c’est durant l’hiver, surtout, que les dégâts surviennent. Monique n’est pas prête d’oublier ces fameuses «grandes marées» du 6 décembre 2010. Et la partie de chaussée de la route 132, longeant le majestueux fleuve Saint-Laurent, en Gaspésie, qui avait été arrachée par de violentes vagues à l’hiver 2016.
«Ceux qui ont été témoins des vingt dernières années, qui habitent ce milieu prennent la mesure de la situation», estime Ursule Boyer-Villemaire, chercheuse en changements climatiques à l’Université du Québec à Montréal. Il faut dire que l’est du Québec, plus qu’ailleurs, s’avère particulièrement affecté. Sans compter qu’au cours des prochaines décennies, la région connaîtra l’une des plus fortes hausses du niveau des océans de la planète.
Et le réchauffement hivernal y serait pour quelque chose. Plus récurrents, les redoux durant la saison froide ont pour effet «de démembrer la banquise qui se situe sur l’estuaire et le golfe du SaintLaurent», poursuit la spécialiste. «Il y a donc plus d’effet de vagues pendant l’hiver, et combiné à des tempêtes hivernales, cela peut être dommageable pour les côtes.»
Cette singularité québécoise, ajoute Mme Boyer-Villemaire, s’explique aussi par la géomorphologie de la province, ses «côtes meubles et jeunes» étant composées surtout de «sable et de sédiments fins, donc très sensibles aux attaques des vagues».
À cette «sensibilité naturelle» s’ajoutent les endroits au Québec en proie au phénomène de subsidence, soit lorsque la croûte terrestre s’enfonce sous le poids des sédiments. Un cocktail particulièrement propice à l’érosion côtière. D’autant que, contrairement à l’Europe, le Québec «a adopté le format de village linéaire, plutôt que des coeurs de village un peu à l'intérieur des terres avec des rayonnements jusqu'à la berge», amplifiant ainsi le risque de sinistres.
Un sentiment d'abandon
Au bout du fil, celle qui a sillonné à maintes reprises les côtes maritimes de la Belle Province témoigne d’un certain «sentiment d’abandon vécu par ces villages, qui voient l’ampleur des problèmes et le coût des mesures à mettre en place». Selon une étude datant de 2015 du consortium de recherche Ouranos, ce sont des pertes d’environ un milliard d’euros que l’érosion côtière entraînera d’ici 2065 au Québec.
Le maire de Maria, Christian Leblanc, en convient, «il y a urgence d’agir» en la matière. Mais dans une fédération où les pouvoirs publics sont multiples, le financement implique souvent des démarches fastidieuses. «Si on intervient, c’est une fortune, et le municipal ne peut pas avoir tout sur ses bras, on a besoin du provincial et du fédéral. Mais eux aussi ont d’autres dossiers à gérer …»
En poste depuis 2013, ce musicien de formation se refuse à baisser les bras, misant avant tout sur l’éducation citoyenne. Chapeau d’aventurier sur la tête, ce quarantenaire ne cache cependant pas sa préoccupation lorsqu’il pointe, en bord de mer, une maison de retraite à terme menacée par les eaux. «Elle a été construite avant le cadre normatif sur l’érosion côtière (visant à restreindre les propriétés riveraines)», explique le maire.
Car avec la montée des eaux viennent, bien sûr, les contraintes pour les citoyens. À quinze kilomètres de Maria, dans la salle de l’hôtel de ville de New Richmond décorée de portraits d’anciens maires, Jean-Sébastien Bourque pointe du doigt des zones riveraines répertoriées en rouge sur son écran, toutes à risque. «Nous avons beaucoup d’éducation à faire, du jour au lendemain, il y a de la nouvelle réglementation: les gens ne peuvent plus faire ce qu’ils veulent sur leur terrain», rapporte le directeur de l’urbanisme de la ville.
De concert avec sa ville et trois autres municipalités de la Baiedes-Chaleurs,
dont Maria, Jean-Sébastien Bourque espère mettre au jour d’ici deux ans un plan d'adaptation aux changements climatiques axé sur l'érosion des berges. «Nous voulons déterminer dans les quatre municipalités quels sont les endroits les plus en danger et établir une liste de priorités et de recommandations» afin de faciliter
Avant, on voyait bien les phoques durant l’hiver. Louis Bernard, habitant
Le maire de Maria, en convient, «il y a urgence d’agir» en la matière.
toute éventuelle demande de subvention, fait savoir le responsable.
De retour à Maria, Louis Bernard contemple l’horizon bleu. Ce natif de l’endroit désigne la grande maison dans laquelle il habite avec sa compagne Hélène. «Avant, on voyait bien les phoques durant l’hiver», explique le bon vivant de 82 ans. «Mais avec la glace qui se fait plus rare dans la baie, ils disparaissent eux aussi.»