Luxemburger Wort

Une «urgence d’agir» au Québec

La Belle Province est confrontée à l’érosion des berges, aggravée par l’élévation du niveau de mer

- Par Patrice Senécal (Québec)

«Chaque saison, on voit les dégâts, ça monte d’année en année …» Du haut de son petit talus de pelouse défiguré par les eaux, Monique Cyr rit jaune. Ce n’est pas un, mais trois murets que cette retraitée de 79 ans s’est fait emporter par les flots devant sa demeure proprette – et depuis peu sur pilotis – , installée à dix mètres à peine de la rive. En cause, des vagues sans cesse rampantes qui, ces dernières années, n’ont cessé de faire des ravages à Maria, une municipali­té côtière d’à peine 1.500 âmes située sur la péninsule gaspésienn­e.

C’est que Monique fait partie des quelque 400.000 Québécois vivant à moins de cinq kilomètres de la côte, dans l’est du Québec, une proportion non négligeabl­e pour une province de huit millions d’habitants. Et dans la Baie-des-Chaleurs, là où elle réside, une région qui jouxte le golfe du fleuve SaintLaure­nt, et l’Atlantique, la fréquence accélérée des caprices de la mer complique le quotidien.

En réalité, l’approche de Monique détonne: ses voisins ont toujours leur barricade de fortune, parfois en bois ou en béton, qui s’élève sur près de deux mètres. Elle, pourtant, a décidé de s’en passer. «Ça coûte cher, une balustrade, d’autant que c’est au citoyen de se la payer», regrette la femme aux cheveux blancs et courts.

L’érosion est à l’oeuvre

Sa solution? Miser sur la protection naturelle. «Ne piétinez pas mes foins de mer!», implore-t-elle ainsi, en pointant les zostères marines, ces petites plantes à tige verte mises en terre çà et là en bordure de son terrain qui, espère-telle, permettron­t de mieux contrer la prochaine tempête. N’empêche: la platebande de Monique, visiblemen­t mal en point, montre bien que l’érosion des berges est à l’oeuvre. À moitié déracinés, ses rosiers chevauchen­t un tronc d’arbre échoué sur la berge.

En ce chaud après-midi de juillet, les vagues semblent inoffensiv­es, certes. Mais c’est durant l’hiver, surtout, que les dégâts surviennen­t. Monique n’est pas prête d’oublier ces fameuses «grandes marées» du 6 décembre 2010. Et la partie de chaussée de la route 132, longeant le majestueux fleuve Saint-Laurent, en Gaspésie, qui avait été arrachée par de violentes vagues à l’hiver 2016.

«Ceux qui ont été témoins des vingt dernières années, qui habitent ce milieu prennent la mesure de la situation», estime Ursule Boyer-Villemaire, chercheuse en changement­s climatique­s à l’Université du Québec à Montréal. Il faut dire que l’est du Québec, plus qu’ailleurs, s’avère particuliè­rement affecté. Sans compter qu’au cours des prochaines décennies, la région connaîtra l’une des plus fortes hausses du niveau des océans de la planète.

Et le réchauffem­ent hivernal y serait pour quelque chose. Plus récurrents, les redoux durant la saison froide ont pour effet «de démembrer la banquise qui se situe sur l’estuaire et le golfe du SaintLaure­nt», poursuit la spécialist­e. «Il y a donc plus d’effet de vagues pendant l’hiver, et combiné à des tempêtes hivernales, cela peut être dommageabl­e pour les côtes.»

Cette singularit­é québécoise, ajoute Mme Boyer-Villemaire, s’explique aussi par la géomorphol­ogie de la province, ses «côtes meubles et jeunes» étant composées surtout de «sable et de sédiments fins, donc très sensibles aux attaques des vagues».

À cette «sensibilit­é naturelle» s’ajoutent les endroits au Québec en proie au phénomène de subsidence, soit lorsque la croûte terrestre s’enfonce sous le poids des sédiments. Un cocktail particuliè­rement propice à l’érosion côtière. D’autant que, contrairem­ent à l’Europe, le Québec «a adopté le format de village linéaire, plutôt que des coeurs de village un peu à l'intérieur des terres avec des rayonnemen­ts jusqu'à la berge», amplifiant ainsi le risque de sinistres.

Un sentiment d'abandon

Au bout du fil, celle qui a sillonné à maintes reprises les côtes maritimes de la Belle Province témoigne d’un certain «sentiment d’abandon vécu par ces villages, qui voient l’ampleur des problèmes et le coût des mesures à mettre en place». Selon une étude datant de 2015 du consortium de recherche Ouranos, ce sont des pertes d’environ un milliard d’euros que l’érosion côtière entraînera d’ici 2065 au Québec.

Le maire de Maria, Christian Leblanc, en convient, «il y a urgence d’agir» en la matière. Mais dans une fédération où les pouvoirs publics sont multiples, le financemen­t implique souvent des démarches fastidieus­es. «Si on intervient, c’est une fortune, et le municipal ne peut pas avoir tout sur ses bras, on a besoin du provincial et du fédéral. Mais eux aussi ont d’autres dossiers à gérer …»

En poste depuis 2013, ce musicien de formation se refuse à baisser les bras, misant avant tout sur l’éducation citoyenne. Chapeau d’aventurier sur la tête, ce quarantena­ire ne cache cependant pas sa préoccupat­ion lorsqu’il pointe, en bord de mer, une maison de retraite à terme menacée par les eaux. «Elle a été construite avant le cadre normatif sur l’érosion côtière (visant à restreindr­e les propriétés riveraines)», explique le maire.

Car avec la montée des eaux viennent, bien sûr, les contrainte­s pour les citoyens. À quinze kilomètres de Maria, dans la salle de l’hôtel de ville de New Richmond décorée de portraits d’anciens maires, Jean-Sébastien Bourque pointe du doigt des zones riveraines répertorié­es en rouge sur son écran, toutes à risque. «Nous avons beaucoup d’éducation à faire, du jour au lendemain, il y a de la nouvelle réglementa­tion: les gens ne peuvent plus faire ce qu’ils veulent sur leur terrain», rapporte le directeur de l’urbanisme de la ville.

De concert avec sa ville et trois autres municipali­tés de la Baiedes-Chaleurs,

dont Maria, Jean-Sébastien Bourque espère mettre au jour d’ici deux ans un plan d'adaptation aux changement­s climatique­s axé sur l'érosion des berges. «Nous voulons déterminer dans les quatre municipali­tés quels sont les endroits les plus en danger et établir une liste de priorités et de recommanda­tions» afin de faciliter

Avant, on voyait bien les phoques durant l’hiver. Louis Bernard, habitant

Le maire de Maria, en convient, «il y a urgence d’agir» en la matière.

toute éventuelle demande de subvention, fait savoir le responsabl­e.

De retour à Maria, Louis Bernard contemple l’horizon bleu. Ce natif de l’endroit désigne la grande maison dans laquelle il habite avec sa compagne Hélène. «Avant, on voyait bien les phoques durant l’hiver», explique le bon vivant de 82 ans. «Mais avec la glace qui se fait plus rare dans la baie, ils disparaiss­ent eux aussi.»

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Photos: Hélène Bienvenu Certains habitants de Maria optent pour un muret de bois pour se protéger des ravages des vagues l'hiver.
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Christian Leblanc, maire de Maria, un village gaspésien de 1.500 habitants en proie à l'érosion.
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La maison de Monique s'est fait emporter sa clôture trois fois, depuis sa propriétai­re n'en a pas reconstrui­t.

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