Luxemburger Wort

Par le petit bout de la lorgnette

Retour du cabaret politique au Théâtre d’Esch/Alzette avec «Si mer nach ze retten?»

- Par Thierry Hick

Il faut trouver les mots justes, parler avec ses tripes, quitte à ne pas toujours être politiquem­ent correct. Christiane Kremer

Nos choix sont forcément subjectifs. Il faut aussi toujours avoir en ligne de mire l’image de son ennemi. Roll Gelhausen

La directrice du Théâtre d’Esch/Alzette, Carole Lorang, veut renouer avec une tradition tombée en désuétude: le cabaret politique à la sauce grand-ducale. Un genre très prisé dans le passé et ces dernières années défendu par Jay Schiltz. Celui qui avait pour habitude de regarder le monde par le petit bout de la lorgnette aurait dû être demain soir sur la scène du théâtre eschois. Malgré sa disparitio­n en mai dernier, l’auteur sera présent au travers de quelques textes préparés pour l’occasion. Pierre Puth sera lui-aussi partie prenante du spectacle uniquement à travers ses textes. L’auteur a pour des raisons d’âge décidé de ne pas monter sur scène. Pas de quoi décourager Roll Gelhausen et Christiane Kremer, qui entourés de Claude Faber, Francis Kirps et Clod Thommes, donnent rendezvous au public eschois.

«Cela fait des mois que nous avons travaillé sur ce projet qui aurait dû être présenté en mai. Bien sûr que la disparitio­n de Jay a été un coup dur pour nous tous», explique Roll Gelhausen.

«Si mer nach ze retten?» – «Pouvons-nous encore être sauvés?»: le titre choisi doit-il être interprété comme une bouteille jetée à la mer? Le dernier signe de vie d’un monde en totale perdition? «Ne nous plaignons pas, même si au Luxembourg on a l’habitude de rouspéter d’office face aux choses dont on n’a pas l’habitude. Après, tout s’arrange. N’est-ce pas là justement le propre d’un petit pays», tempère Roll Gelhausen. A quoi Christiane Kremer rajoute: «Peutêtre faudrait-il que nous prenions plus conscience de nos forces et de nos richesses, qui justement nous permettent de toujours être capables de nous adapter?»

Alors quels sujets sont donc au menu de «Si mer nach ze retten?» «Chacun d’entre nous a choisi un thème. Jay Schiltz parle bien évidemment de politique, Pierre Puth du Luxembourg, Christiane Kremer de la place des femmes dans la société. Moi, je me penche sur les questions climatique­s», fait valoir Roll Gelhausen.

Jouer avec les gestes barrières

Le spectacle a dû être reporté pour les raisons que l’on connaît. La crise de la Covid-19 allait-elle devenir du pain béni pour les croqueurs d’actualité? «Non», rétorque fermement Christiane Kremer, «on en a discuté tous ensemble, pour ne retenir à la fin que quelques allusions qui traversent le programme». «Maintenant que le public est à nouveau autorisé à venir au théâtre, on n’allait tout de même pas encore l’assommer avec ce virus», fustige Roll Gelhausen. Même si sur scène la troupe n’est pas forcée de porter le masque, les gestes barrières seront bel et bien présents et joyeusemen­t détournés...

Le cabaret dit politique fera donc son retour sur la scène eschoise. A quoi le public doit-il s’attendre concrèteme­nt? «Le cabaret est toujours une question de politique. Le seul fait de parler de questions de société est déjà un acte politique en soi», indique Roll Gelhausen avant de prévenir: «Il n’est pas question de partis politiques».

«Avoir la possibilit­é de s’exprimer, de critiquer, donc de faire du cabaret, tout cela ici nous paraît tellement sous-entendu. Mais, n’oublions pas l’importance de cette liberté de parole qui nous est garantie. C’est une chance unique», poursuit Roll Gelhausen.

Parler de choses sérieuses «n’interdit pas de faire rire», précise Christiane Kremer. «Ce n’est pourtant pas non plus le but principal», lui rétorque Roll Gelhausen.

Contrairem­ent à d’autres programmes de cabaret (tels la «Revue») «Si mer nach ze retten?» s’attarde moins sur l’actualité directe, sur les faits et gestes de certains «people», mais sur des questions plus générales. Et en s’attachant toujours à «jouer le ballon et non l’homme», insiste Christiane Kremer.

«Bien sûr, on peut attaquer une idée défendue par quelqu’un, en rajouter une couche le cas échéant. Nos choix sont donc forcément subjectifs. Il faut aussi toujours avoir en ligne de mire l’image de son ennemi», s’amuse Roll Gelhausen, pour qui «le cabaret est une forme de soupape qui permet d’exprimer des idées et de faire bouger les choses».

Trouver les mots justes

Pour la journalist­e Christiane Kremer, il s’agit de «trouver les mots justes, une perspectiv­e différente pour exprimer ses idées. L’ironie, la satire, les jeux de mots en font partie, quitte à ne pas toujours être politiquem­ent correct.»

Tous deux sont aussi conscients d’un autre problème inhérent à leur profession. «Notre public dans la salle a un certain âge. Sur scène ce n’est guère mieux. Au début, on se demandait si le cabaret en soi pouvait être sauvé. Il s’agit pour nous d’attirer les jeunes, qui aujourd’hui ne s’intéressen­t pas à ce que nous faisons», clame Roll Gelhausen. D’où le choix d’inviter pour cette première le poète-slameur Francis Kirps, qui contrairem­ent à ses collistier­s d’un soir qui ont choisi le luxembourg­eois, présentera sa prose en langue allemande.

Après les deux premières représenta­tions cette semaine, «Si mer nach ze retten?» sera repris en mai 2021. Le programme ne sera pas réécrit de fond en comble, mais adapté selon les circonstan­ces du moment et «en fonction de ce qui a bien marché ou de ce qu’il faut corriger», promettent les deux cabarettis­tes.

Carole Lorang a fait appel à une brochette de plumes reconnues et non à un ensemble existant. Un choix qui laisse la porte ouverte à toutes formes de changement­s. «Si l’aventure se poursuit, c’est certain que notre équipe pourra évoluer, même si un noyau dur restera en place», note Roll Gelhausen.

 ?? Photo: Guy Jallay ?? Christiane Kremer et Roll Gelhausen font partie de la troupe de joyeuses plumes réunies à Esch/Alzette.
Photo: Guy Jallay Christiane Kremer et Roll Gelhausen font partie de la troupe de joyeuses plumes réunies à Esch/Alzette.
 ?? Photo: Patrick Galbats ?? Pas de cabaret sans coupe de crémant et sans «Humpen». Sur scène, la tradition sera respectée.
Photo: Patrick Galbats Pas de cabaret sans coupe de crémant et sans «Humpen». Sur scène, la tradition sera respectée.

Newspapers in German

Newspapers from Luxembourg