Luxemburger Wort

Des lieux d’habitation et de vie

Les colonies ouvrières d'Esch-sur-Alzette d’hier, aujourd’hui protégées, sont un témoignage vivant du passé industriel de la Métropole du Fer

- Par Thierry Hick

A l’heure où sort de presse «Eschsur-Alzette: Guide historique et architectu­ral», portons le regard, pour poursuivre notre série consacrée aux différente­s architectu­res présentes au pays, sur un style bien particulie­r et typique du Bassin minier: les colonies ouvrières. L’historienn­e Antoinette Lorang, grande spécialist­e en la matière et coauteure du guide paru ces jours-ci, nous donne rendez-vous place Victor Hugo pour une balade à travers le quartier «Auf der Acht» d’Esch-sur-Alzette». Les rues Aloyse Kayser, de l’Usine, Léon Weirich et des Martyrs sont aujourd’hui encore représenta­tives d’un style architectu­ral qui remonte à la fin du XIXe siècle. Les premières maisons pour ouvriers et employés de la société Metz sont construite­s dès 1874 rue de Schifflang­e. Au XXe siècle, ce type d’architectu­re avant tout fonctionne­lle trouve son véritable essor.

Le quartier de la Hiehl verra ses premières colonies ouvrières dès 1901, l’Aachener Hütten-Aktien-Verein y construisa­nt dans les rues Renaudin et des Mines des maisons jumelées. Grâce au programme architectu­ral de la Gelsenkirc­hener Bergwerks-AG, les rues du quartier «Auf der Acht» sont aménagées à partir de 1910. Dans la foulée sont construits les logements pour ouvriers dans la cité Dr Welter, rue d’Ehlerange.

L’ARBED, créée en 1911, elle aussi construira dès 1923 des colonies ouvrières, comme celles de la rue Clair-Chêne, de la rue et place des Franciscai­ns. En tout 201 logements en immeubles plurifamil­iaux et 24 maisons unifamilia­les verront le jour.

Retour rue Léon Weirich avec notre guide pour une (re)découverte des lieux. Antoinette Lorang, historienn­e de l’Art spécialist­e d’architectu­re, titulaire d’un doctorat de l’Université d’Heidelberg, a dressé dans les années 1990 un inventaire du patrimoine eschois et a publié de nombreux articles et monographi­es consacrés aux questions d’architectu­re et d’urbanisme. Celle qui fut responsabl­e des questions culturelle­s du Fonds Belval, vit depuis de nombreuses années à Esch-sur-Alzette, une ville qu’elle connaît – et apprécie – dans ses moindres recoins.

Créer une ambiance de village

«Regardez les toits aux formes si particuliè­res», lance notre guide en arpentant la rue des Maquisards avant de poursuivre une rue plus loin: «Les maisons ne sont pas alignées sur une ligne droite.» Pour une raison simple: les architecte­s de l’époque voulaient des espaces de jeu pour les enfants et créer une sorte d’ambiance de village, précise l’historienn­e. La comparaiso­n des deux clichés de la rue Léon Weirich – le premier date de 1956, le second de ce mardi (voir ci-contre) – est sans équivoque: les enfants jouant dans la rue ont été remplacés par des voitures.

Deux autres constats s’imposent. La structure même des habitation­s et de l’aménagemen­t de l’espace n’ont guère changé après un demi-siècle. Ensuite, la substance architectu­rale est toujours bien conservée, même un siècle plus tard.

Antoinette Lorang a son explicatio­n. «Bien sûr, ces maisons devaient être fonctionne­lles. Ce qui n’empêchait pas les questions esthétique­s d’être abordées. L’ensemble ne devait pas paraître monotone.»

Un certain cachet

Les habitation­s imaginées en partie par l’architecte allemand Paul Tafel, tout en ne niant pas les influences des cités-jardins et des maisons de campagnes anglaises et allemandes, se distinguai­ent souvent par une recherche avancée de détails. Des pierres de taille incrustées

Antoinette Lorang est une spécialist­e du patrimoine urbain. dans les façades, un jardinet à l’avant, des loges ou niches à l’entrée... sans oublier le jardin arrière avec son cabanon aménagé en potager pour subvenir aux besoins d’alimentati­on. Les maisons se devaient donc d’avoir un certain cachet. Et résister à l’usure du temps. D’où le choix d’une qualité sans reproches dans l’aménagemen­t des nouveaux quartiers. Ce n’est sans doute pas un hasard si les constructi­ons eschoises ont servi ensuite de modèle et ont connu une notoriété internatio­nale.

Les habitation­s, qui restaient la propriété des patrons, étaient attribuées selon une hiérarchis­ation sociale bien définie. «Un ouvrier avait droit à quatre pièces, un contre-maître à cinq et un maître bénéficiai­t de six pièces», note Antoinette Lorang. Les employés étaient logés dans des maisons plus cossues, avenue des TerresRoug­es ou rue Bessemer. Les ingénieurs s’installaie­nt entres autres rue de Luxembourg.

Les logements de toutes ces classes sociales confondues étaient tous situés à proximité des lieux de travail. De telles cités n'ont pas seulement vu le jour à Esch-sur-Alzette, mais aussi à Differdang­e, Dudelange, Schifflang­e... là où existaient des usines. Les patrons, en mettant à dispositio­n des habitation­s à leurs salariés – un concept peu imaginable aujourd’hui –, ont apporté leurs réponses à une crise du logement existante et déjà perceptibl­e en cette période de forte expansion économique et industriel­le d’une ville et de sa région. «C'était aussi une manière de fidéliser la main-d'oeuvre, en lui offrant une possibilit­é de se loger à bon prix», précise Antoinette Lorang.

C’est à partir des années 1960 que les habitation­s ont été peu à peu vendues par l’ARBED. Cette privatisat­ion progressiv­e n’a certes pas profondéme­nt affecté l’architectu­re des bâtisses, même si la population des cités ouvrières a largement évolué. Consciente de la valeur de ce patrimoine architectu­ral inédit, la Ville d’Esch-sur-Alzette a décidé, il y a quelques années, de classer et de protéger ces maisons témoins d’un autre temps. Une manière d’éviter des transforma­tions sauvages.

Antoinette Lorang, certes satisfaite de cette décision, aimerait que «les habitants de ces cités prennent plus conscience de la valeur exceptionn­elle des quartiers dans lesquels ils vivent». D’où la nécessité d’une campagne de sensibilis­ation et d’informatio­n à mener dans les meilleurs délais.

«Esch-sur-Alzette: Guide historique et architectu­ral», collectif d'auteurs, éditions Capybarabo­oks. 480 pages, ISBN 978-99959-43-27-1, 22 euros.

Haut: Vue prise vers 1910, la rue Hoehl (actuelleme­nt rue Jean-Pierre Bausch) et les maisons jumelées réalisées par le Aachener HüttenActi­en-Verein en 1901 et 1904. Milieu: La cité «Auf der Acht» (cité Léon Weirich) en 1956. Bas: La Cité Ehleringer Strasse (Cité Dr Welter), rue de l’Acier, vers 1913.

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Le soin du détail.
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