Le droit de grève sous pression en Belgique
La condamnation de grévistes à la prison avec sursis relance le débat sur la judiciarisation des mouvements sociaux
Les faits avaient eu lieu le 19 octobre 2015. Un groupe de syndicalistes avait bloqué une autoroute de la région liégeoise lors d’une grève intersectorielle, provoquant 400 kilomètres d’embouteillages. Bloqué dans les files, un chirurgien n’avait pu se rendre à l’hôpital où il devait opérer en urgence. La patiente était morte. Ce volet précis de l’affaire avait fait l’objet d’une première action en justice pour homicide involontaire – un non-lieu avait été prononcé.
Cinq ans plus tard toutefois, un tribunal liégeois vient de condamner 17 syndicalistes pour «entrave méchante à la circulation». Parmi eux, Thierry Bodson, le président de la FGTB wallonne. Comme cinq autres responsables syndicaux, il écope d’un mois de prison et d’une amende de 600 euros, avec sursis. Onze affiliés sont condamnés à 15 jours de prison avec sursis.
Ce n’est pas une première. En 2019, la cour d’appel d’Anvers avait ainsi sanctionné un syndicaliste pour le blocage des accès au port. La décision avait été confirmée par la Cour de cassation en janvier dernier.
Etouffer les mouvements sociaux A peine prononcées, ces condamnations ont immédiatement réveillé la crainte que de nouvelles menaces ne s'expriment pour le droit de grève. Pour Thierry Bodson, ce sont les leaders syndicalistes qui ont été visés en premier, et à travers eux «l’organisation syndicale elle-même». D’autres réactions indignées ont suivi, notamment du côté de la gauche communiste et de la Ligue des droits humains.
Il y aurait à entendre le banc syndical une «judiciarisation» du droit de grève. Autrement dit, la justice participerait à la mise au pas rampante des syndicats et des mouvements sociaux. Les décisions d’un juge pourraient devenir des armes d’intimidation contre les représentants syndicaux. Toute action deviendrait impossible.
Dans les colonnes du quotidien «Le Soir», le politologue Jean Faniel partage cet avis: «Il y a aussi une tendance à une criminalisation des mouvements sociaux, qui est dénoncée depuis au moins le début des années 2000. Plutôt que d’essayer de les prendre en considération, on tente de les étouffer par des procédures judiciaires longues, dures, qui vont parfois avoir pour effet d’écraser un mouvement». Les syndicats belges, rappelle Jean Faniel, n’ont pas de personnalité juridique, d’où la volonté des partis de droite de leur en imposer une «pour mieux réguler leur action».
Recréer du consensus
Rien de tout cela, rétorque en substance l’avocat en droit social JeanPaul Lacomble pour qui la justice liégeoise n’a pas cherché à punir «la grève elle-même, mais bien les faits commis à l’occasion de la grève». L’avocat estime qu’ils traduisent la panne du modèle de concertation patrons-syndicats: «Cette montée aux extrêmes est révélatrice d’un modèle qui ne fonctionne plus bien. Il faut réparer l’outil, recréer du consensus, sauver le modèle».
Historiquement, patrons et syndicats se sont toujours opposés sur la question de savoir quelles sont les actions qui relèvent ou non de l’exercice normal du droit de grève.
Le jugement liégeois a été amplement commenté par la chaîne publique RTBF. «L’exercice du droit de grève est en tout cas malmené. Ce jugement doit être ajouté à la limitation de fait des piquets de grève où de plus en plus d’huissiers sont envoyés, il doit être ajouté au service minimum à la SNCB qui rend l’arrêt des trains plus compliqué qu’avant (…) Et si on assistait à une entrave méchante au droit de grève et à la liberté de manifester?»
Les syndicalistes condamnés interjetteront appel, selon leur avocat.
Cette montée aux extrêmes est révélatrice d’un modèle qui ne fonctionne plus bien. Jean-Paul Lacomble, avocat en droit social