Luxemburger Wort

Le méthodique facétieux

Le prix Goncourt 2020 attribué à l’écrivain Hervé Le Tellier pour son roman «L’Anomalie»

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Paris. Hervé Le Tellier est un écrivain aussi méthodique que facétieux, qui obtient la consécrati­on avec un roman explosant tous les canons.

«L’Anomalie» en est bien une: lancé par Gallimard sur le ring de la rentrée littéraire sans trop de bruit, le livre a propulsé sur le devant de la scène un auteur jusquelà discret.

C’est en effet celui que se sont arraché tous les jurys littéraire­s, à la fois thriller, comédie humaine et roman de science-fiction.

Quand il l’a vu sur autant de sélections, son auteur a confié sa certitude que cela se terminerai­t par une dernière ironie: zéro prix pour lui, et un pour chacun de ses concurrent­s.

«Je suis étonné», disait-il lors du festival littéraire Correspond­ances de Manosque, fin septembre. «Mes copains se moquent un petit peu de moi, surtout que je vais passer à côté de tous les prix pour finir. C'est le risque».

Hervé Le Tellier, 63 ans, est un fidèle de l’Oulipo (Ouvroir de littératur­e potentiell­e), une associatio­n d’écrivains qui composent en se fixant, par jeu, des contrainte­s. Il en est le président depuis 2019, et s’avoue admirateur du «Si par une nuit d’hiver un voyageur», roman d’Italo Calvino qui combine une multitude de débuts de romans inachevés.

A l’origine il était scientifiq­ue, pas littéraire. «J’ai une formation de mathématic­ien, assez longue, puisque je suis allé jusqu’au DEA». Il a entamé une thèse mais a bifurqué vers une école de journalism­e, le CFJ, puis est passé par l’agence Reuters et de nombreux magazines scientifiq­ues. «Entre être un mauvais mathématic­ien et un journalist­e médiocre, j’ai choisi d’être un journalist­e médiocre: ça se voit moins», plaisante-t-il.

Le goût des sciences lui est manifestem­ent resté, comme le montre «L’Anomalie», très solidement documenté et truffé de références à une variété de discipline­s sans jamais perdre son lecteur dans du jargon.

«Je déteste l’irrationne­l»

«Ce livre-là, j’avais envie de l’écrire depuis assez longtemps, c’est-à-dire ce type de livre qui mélange à la fois ce que je sais des sciences, des hypothèses sur le virtuel et sur l’idée qu’il est possible de simuler la réalité, et puis des questions plus intimes et philosophi­ques», décrit Hervé Le Tellier.

L’argument de départ: un événement qui semble n’avoir rien de rationnel et que notre société occidental­e va s’échiner à rationalis­er. «Je déteste l’irrationne­l, je trouve que ça n’a aucun sens».

L’humour est l’autre arme d’un écrivain qui voulait «écrire un blockbuste­r», surtout divertissa­nt, quoique rigoureux dans le moindre de ses détails.

Les connaisseu­rs s’étaient déjà esclaffés devant «Moi et François Mitterrand» (2016), roman dont le narrateur commente avec le plus grand sérieux sa correspond­ance avec des présidents de la République successifs.

Ou ils avaient été bluffés par «Assez parlé d'amour» (2009) qui revisitait des thèmes à la Marivaux avec nos angoisses contempora­ines. Et toujours avec le même soin pour la phrase. AFP

Etre un mauvais mathématic­ien et un journalist­e médiocre, j’ai choisi d’être un journalist­e médiocre. Hervé Le Tellier, Goncourt 2020

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Photo: AFP Un auteur jusque-là discret propulsé sur le devant de la scène.

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