Un caractère de polymathe
„Qui est Jules Speller et quelle est sa spécialité?“On pourrait répondre à cette question en indiquant qu’il est un musicologue ayant percé les secrets de la «Flûte enchantée» de Mozart, on pourrait dire aussi qu’il est historien, ayant enfin dissipé les
fité des cinq premières années de sa retraite pour achever son volume insigne intitulé Galileo’s Inquisition Trial Revisited en 2008. Cette oeuvre magistrale acclamée par tous les spécialistes internationaux en la matière, réunit toutes les caractéristiques pour lesquelles nous avons appris à estimer son auteur, notamment une maîtrise irréprochable des langues, une logique rigoureuse et une ironie souvent allègre, parfois caustique. Sans oublier la qualité soulignée unanimement par la critique, à savoir la lecture minutieuse, mais jamais pointilleuse des sources.
Faire le procès au procès
Mais pourquoi avoir choisi ce sujet? Tout d’abord, parce que, contrairement à l’opinion populaire, on ne sait rien, ou presque, sur les véritables motifs de la condamnation du savant florentin par l’Inquisition romaine en 1633. Ici encore, comme pour la Flûte Enchantée , il y a un (voire plusieurs) mythes à dissiper, et le Socrate taraudeur qui habite Jules Speller s’en donne à coeur joie! En second lieu, il s’agit d’un problème éminemment philosophique, puisque dans les coulisses de «l’affaire Galilée» se joue une partie d’échecs aux enjeux autant métaphysiques que politiques. Et, troisième raison, la fascination avouée qu’exerce le personnage truculent et défiant de Galilée sur notre auteur. On ne saurait même s’empêcher d’observer une connivence foncière entre ces deux hommes au regard perçant et à l’esprit ouvert…
Le mythe principal auquel s’attaque Jules Speller dans son livre est l’opinion courante selon laquelle Galilée aurait été condamné par l’Inquisition romaine pour avoir défendu le modèle héliocentrique de Copernic dans son Dialogue sur les deux grands systèmes du monde .Il n’en est rien! Ce qui rend cette version conventionnelle fort invraisemblable, est par exemple que le pape de l’époque du procès, Urbain VIII, avait longtemps été l’ami de Galilée et avait auparavant promis que sous son pontificat, jamais l’opinion copernicienne ne serait déclarée hérétique. Ensuite, pour des raisons auparavant inexplicables, le pape fait volte-face et nomme la matière dont traite Galilée «perverse au plus haut degré» et «pour la Chrétienté au plus haut point pernicieuse»1. Comment expliquer de telles accusations superlatives qui, poussées à leur ultime conséquence, rendraient Galilée passible d’être brûlé sur le bûcher? Comment expliquer aussi que ni dans le document qui précise les délits de Galilée, ni dans les questions qu’on pose lors des interrogatoires, ni dans les rapports des consultants, on ne rencontre le conflit entre Galilée et la Bible? Que le pape refuse à Galilée de traiter dorénavant même des doctrines acceptées par l’Église, sous peine de récidive, autrement dit: le bûcher? Tous les chercheurs s’étaient jusqu’à présent déclarés vaincus et avaient avoué que l’affaire demeurait «sombre», «ténébreuse», ou «obscure.»2
Tout comme Copernic lui-même avait observé certaines irrégularités dans les mouvements des corps célestes et avait construit un nouveau modèle de l’univers qui les intégrerait, Jules Speller tente lui aussi de reconstruire de façon cohérente les revirements de cet illustre procès. À cet effet, il entreprend le travail cyclopéen de passer au peigne fin tous les documents officiels et secrets afférents non seulement au procès lui-même, mais aussi à toute l’époque conduisant à celui-ci. Ce que les historiens précédents n’avaient pas vu, la lecture scrupuleuse, la logique impitoyable et la flexibilité du philosophe le virent, et cela lui permit de formuler des thèses nouvelles et solidement corroborées dont la principale est la suivante: Galilée a été poursuivi par le pape pour avoir mis en cause un des piliers fondamentaux de la foi chrétienne: L’omnipotence divine! Selon un raisonnement cher au pape, quiconque affirme un modèle cosmologique (copernicien ou autre…) de façon absolue, prétend que, puisque Dieu n’a pas pu créer un univers autre que celui allégué par le cosmologue en question, le Créateur est donc limité en son pouvoir. Or prétendre une telle limitation est la pire forme d’hérésie! Malgré ces graves accusations, le pape ne parvient cependant pas à neutraliser tout à fait les puissants alliés de Galilée, ce qui explique les fréquents et déconcertants revirements du procès, qui aboutit finalement en une sorte de compromis tacite. D’où l’opacité qui a toujours entouré celui-ci.
Actuellement occupé à rédiger un complément à son livre sur le procès de Galilée, Jules Speller, par ses publications couvrant les champs du savoir les plus divers, est donc bien la preuve que la philosophie, cette science auxiliaire par excellence, est à l’intersection de tous les domaines et que celle-ci, en affûtant la pensée et en habituant l’esprit à sortir des sentiers battus, a permis à Jules Speller de confirmer l’adage d’Einstein: «Probleme kann man niemals mit derselben Denkweise lösen, durch die sie entstanden sind.»
Bibliographie de Jules Speller
In Defence of Logic secundum Curiam and Logic simpliciter. In: Legal issues of European integration. 1980/1: 59-78
Der taktische Gebrauch der Gegenformelmethode in der Argumentationsstrategie. In: Archiv für Rechts- und Sozialphilosophie. Vol. 1982 LXVIII/1: 72-101.