Vagabondages urbains
Le photographe Paulo Lobo avec «Dans un souffle la nuit» s’offre une parenthèse
Paulo Lobo aime se balader, si possible la nuit, dans les villes et territoires qui l’ont marqué. Toujours à l’affût du moindre détail intéressant, le photographe, son appareil à portée de main, est le témoin privilégié d’un monde qu’il ne cesse d’observer avec nostalgie et mélancolie.
En cette fin d’année, Paulo Lobo publie «Dans un souffle la nuit», un recueil de textes et clichés, certes pas toujours récents mais qui n’ont en rien perdu de leur pertinence. Sur 64 pages, l’artiste alterne textes et photographies. Il a choisi la forme d’un zine, «j’aime ce format à mi-chemin entre un livre et un magazine».
«J’ai également une affection toute particulière pour le papier, un matériau que l’on peut toucher. Et qui de plus provoque une autre forme de conversation ou de relation partagée avec celui qui regarde mes photos», fait valoir le photographe. «Contrairement à une exposition, qui toujours reste quelque chose d’éphémère, un livre est quelque chose de durable. Cette publication laissera une trace de mon travail une fois que je ne serai plus là». Paulo Lobo, au détour d’un sourire malicieux, reste un éternel mélancolique.
«C’est vrai, j’ai en moi cette forme de mélancolie, cette âme fadiste tout à fait portugaise qui me collent à la peau. Je reste un éternel déraciné. Avec la photo, j’ai souvent tendance à pointer une vision pessimiste de l’existence, je me chagrine autour des idées noires de ce monde», précise Paulo Lobo, âgé aujourd’hui de 56 ans, fils d’immigré portugais arrivé au Luxembourg à l’age de 6-7- ans. Cette mélancolie revendiquée et assumée lui permet «d’atteindre une forme de lenteur qui a pour but d’adoucir les choses. Donc, cela a aussi du bon.».
Pour son livre «Dans un souffle la nuit» Paulo Lobo a puisé dans sa réserve personnelle de textes et photos en grande partie publié dans les colonnes de son blog www.paulolobo.blogspot.com. Regroupés autour du mot clé «Existenz», ces textes «sont souvent des témoignages de mes nuits d’insomnie. Ecrits en roue libre, à toute vitesse, ces textes sont aussi un exercice d’écriture. J’ai dû les relire, les retravailler sans pour autant en changer l’esprit. Ensuite pour les photos, j’ai été obligé de faire des choix. C’est grâce au confinement, que j’ai pu faire ce travail. Avant cela, je n’avais jamais le temps de me poser.»
De la banque aux espaces urbains
Ancien employé de banque et employé de différentes publications, actuellement rédacteur en chef du bimensuel «Wunnen», Paulo Lobo a découvert la photographie sur le tas. En fait, un choix de substitution, avoue-t-il. «J’aura aimé devenir cinéaste. Mais au moment de m’inscrire à une école de cinéma, j’ai hésité. Une forme de résignation toute portugaise sans doute.» Membre d’un photo-club, il enchaîne les expositions collectives. Sur invitation du centre culturel portugais Camões, il organise en 2013 sa première exposition personnelle. Ensuite, les propositions se multiplient, il devient un temps le photographe attitré du concours Miss Portugal au Luxembourg. Aujourd’hui il peut vivre sa passion sans limites.
Fervant défenseur de la photographie de rue – il fait partie du collectif Streetphotography Luxembourg – Paulo Lobo aime arpenter le bitume, observer les espaces urbains et leurs habitants. «Ce milieu urbain est un espace public où les découvertes sont nombreuses», indique le photographe.
Loin des scènes et images convenues, les prises de vue sont autant d’instantanés de vie, de témoignages des petites choses de la vie toujours agrémentées d'un regard aussi pointu qu’inattendu. «Pour moi, ces clichés sont des vagabondages, des errements.»
Ses pérégrinations le conduisent à passer au crible sa ville de coeur Differdange et Esch/Alzette – «mes deux territoires fétiches» – mais aussi d’autres lieux et plus particulièrement la ville de Lisbonne et les rives du Tage. «C’est un va-et-vient géographique permanent. J’aime revenir au Portugal, là où la tête au soleil j’ai passé mon enfance. Je reste toujours fortement attaché à mes origines. Je sais que je ne pourrais plus y habiter, ces terres sont devenus avec le temps des lieux phantasmés», note Paulo Lobo, qui aujourd’hui possède la double nationalité. «C’est assez compliqué dans ma tête. Au Portugal je me sens étranger, au Luxembourg aussi encore un peu, mais bien moins qu’il y a trente ans» C’est donc cet éternel déchirement entre deux pays, entre deux cultures qui aujourd’hui encore rythment sa vie et sa façon de voir les choses.
Une photo doit déployer une histoire
Pour Paulo Lobo, «une photo doit provoquer davantage d’idées qu’elle ne semble suggérer au départ. Son histoire doit se déployer sous mes yeux. Elle doit aussi prendre ses distances avec un volet purement narratif.» C’est pourquoi, les photos de Paulo Lobo ne comportent ni titres, ni légendes.
Une dernière caractéristique intrinsèque traverse son portofolio: le noir et blanc. «La couleur est nettement plus difficile à maîtriser, je ne suis jamais satisfait du résultat que j’obtiens.»
Passionné et abreuvé dès sa plus jeune enfance de cinéma classique, de films de la nouvelles vague, de cinéma noir américain, celui qui est toujours aussi cinéphile travaille le noir et blanc, «cela permet une vue plus poétique des choses, du monde moins réaliste, moins figée par le quotidien.»
Une bonne photo exige aussi un travail pointu de mise en scène des sujets, de l’espace. «Un peu comme au cinéma». Jouer avec les nuances, les clairs-obscures, la pénombre, montrer, mais aussi suggérer, ce travail chez Paulo Lobo est souvent plus complexe qu’il n’y parait au premier regard. «Il faut pouvoir convoquer l’imaginaire».
Le photographe aime les vieux boîtiers d’un temps révolu. «La prise de vue, ce moment unique où les choses se déclenchent, où le regard se compose sont uniques». C’est pour cette raison, qu’il alterne appareillages argentiques et numériques. Les premiers autorisant une approche plus calme du jeu avec le déclencheur.
Qui a fait cette photo, où et quand? Ces questions n'ont pas d'importance pour moi. Paulo Lobo, photographe
Paulo Jorge Lobo: «Dans un souffle la nuit», 64 pages, 19 euros, disponible en librairie et sur: www.paulobo.com, www.paulolobo. blogspot.com