L’envers du décor
Exposition «Ready. Set. Design.» au Ratskeller dans le cadre du LuxFilmFest
Le cinéma peut tricher pour créer des illusions. Le résultat devient ainsi une nouvelle réalité. Paul Lesch, commissaire
L’exposition «Ready. Set. Design» qui se tient actuellement au Ratskeller du Cercle Cité affiche d’emblée la couleur: dévoiler le cinéma made in Luxembourg dans toute sa diversité tout en donnant la parole à tous ceux qui font vivre cet art et qui très souvent restent en retrait des projecteurs.
«Le décor de cinéma au Luxembourg», le sous-titre de l’exposition, dépasse – volontairement – le strict cadre de la seule question des décors de cinémas. Ils sont trois commissaires à avoir préparé et monté cette exposition, inscrite au générique du LuxFilmFest, qui débute le 4 mars: Paul Lesch, Yves Steichen et Chiara Lentz du Centre national de l’Audiovisuel de Dudelange.
Alors que l’idée d’une exposition sur le rayonnement des coproductions internationales tournées au Luxembourg lui trottait en tête depuis quelques temps, Paul Lesch a voulu «aller plus loin dans ces réflexions» et présenter les cinéma grand-ducal sous un angle différent. Yves Steichen précise: «Le décor tient une place importante dans toutes les étapes d’un film, de la préproduction à la production et jusqu’à la postproduction.»
La première partie de «Ready. Set. Design.» revient dans les moindres détails sur cette prépondérance du décor dans toute production cinématographique. D’innombrables et souvent inconnus métiers ont droit de cité: location scout, set dresser, picture editing, sound engineer, set manager... sans ces différents corps de métiers, un film ne verrait jamais le jour. Et pourtant, ces techniciens du cinéma, comme on les appelle communément, ne sont que très rarement à l’honneur, ils font tous parties du set, mais restent invisibles sur les grands écrans. Les trois commissaires ont mené de très longues discussions avec ces techniciens, en ont finalement extrait une phrase clef ou une interview filmée plus ou moins longue. Une forme d’hommage à toutes ces mains invisibles.
Une fenêtre factice sur le monde
La partie de l’exposition consacrée aux coproductions internationales – intitulée à juste titre «The Great Illusion, Luxembourg, a Stand-In for Paris, New York, Tel Aviv and Many More» – réserve son lot de surprises: une scène de rue à Jérusalem tournée à Remich, la maternité Grande-Duchesse Charlotte de Luxembourg déménagée à Tel-Aviv, le Cercle Cité à Rome... Un palmier, une vieille voiture italienne, un drapeau, souvent il ne faut que quelques détails ou quelques accessoires pour changer la donne pour des films tournés au Luxembourg mais dont l’action se situe aux quatre coins de la planète. Paul Lesch explique: «Le cinéma peut tricher pour créer des illusions. Le résultat devient ainsi une nouvelle réalité». C’est aussi une forme de manipulation, concède le commissaire. Et aussi la magie du cinéma qui opère. Yves Steichen précise: «Le cadrage joue dans ce contexte également un rôle important.»
Avec la partie «Mir wëllen iech ons Hémecht weisen», les trois commissaires pointent du doigt les productions mettant en scène le Grand-Duché. Quels genres d’histoires sont situées dans quelles régions? Eléments de réponse avec Yves Steichen. «L’Eisléck, souvent mystérieux, n’est pas la seule région du pays à être mise en scène. Le quartier de la Gare de Luxembourg, à l’image de ’Doudege Wenkel’ ou ’Hochzäitsnuecht’ représentent la face cachée de la ville de Luxembourg. La région Minett est choisie pour un regard souvent nostalgique sur le déclin de l’industrie lourde. La région de la Moselle, quant à elle, n’est que relativement peu choisie. Peut-être lui manque-t-elle ce côté ambigu, peut-être est-elle tout simplement trop belle?»
Venise à Esch
La quatrième partie «All That Glitters is Not Gold, Creating Venice in Esch-sur-Alzette» fournit un exemple probant de l’illusion, du factuel recréé. Pour le décor du film «Secret Passage» d’Ademir Kenovic, Delux Productions recréa en 2001 un quartier de Venise
sur les friches industrielles Terres-Rouges d’Esch/Alzette. Une prouesse technique inédite, mais aussi un projet pharaonique, comme le rappelle Chiara Lentz. «Ce décor de film n’ayant pas pu être réalisé à Venise pour différentes raisons, le producteur décida de recréer la ville à Esch/Alzette». Le set n’avait pas d’ambitions durables. Et pourtant, le site de Venise-sur-Alzette a ensuite servi à d’autres productions, entres autres «The Girl with the Golden Earring» avec Scarlett Johansson. Là aussi la magie du cinéma a fonctionné, puisque le décor n’accueillait plus les canaux de Venise mais cette fois-ci ceux de Delft. Le set a été détruit, après le tournage de «The merchant of Venice» avec Al Pacino en 2004. Un sort que de fort nombreux décors de productions au Luxembourg ont connu.
L’exposition au Ratskeller n’a ainsi que pu reconstituer une partie de «Hannah Arendt», tourné en 2011 par Margarethe von Trotta. «Souvent, faute de place pour les stocker, les décors de films sont détruits», regrette Paul Lesch en précisant que le CNA conserve certains accessoires de films.
Le visiteur retrouvera tout au long de l’exposition des documents, des photographies, des notes de travail, des accessoires de quelques films qui ont marqué le cinéma au Luxembourg, des plus anciens aux plus récents. Aux côtés des souvenirs autour de quelques films luxembourgeois qui ont marqué les esprits – tels «Eng nei Zäit», «Nuit amère», «Mammejong», «Superjhemp Retörns»... – l’exposition «Ready. Set. Design» a le grand mérite de présenter toutes les facettes, surtout celles cachées, d’un art qui outre son impact économique, a su imposer depuis des décennies le Grand-Duché sur la carte mondiale du septième art. Un pari osé, mais réussi.
Jusqu’au 11 avril, tous les jours de 11 à 19 heures au Ratskeller du Cercle Cité, place d’Armes Luxembourg. Entrée libre.
www.cerclecite.lu