«Théâtre, théâtre»
«La Mère Coupable» d’après Beaumarchais joué par des comédiens français heureux de se retrouver sur scène
«Théâtre, théâtre», ce cri initial et final d’un des personnages, caractérise bien l’esprit et la manière avec lesquels Laurent Hatat a abordé «La Mère coupable», un Beaumarchais méconnu et peu considéré, pour le régénérer et en faire une belle fête théâtrale non dépourvue d’échos significatifs
Beaumarchais, pour les anciens élèves que nous sommes tous et les amateurs de théâtre que nous pouvons être, c’est «Le Barbier de Séville» et «Le Mariage de Figaro». Mais nous ne connaissons guère le troisième volet de la trilogie: «La Mère coupable».
Il est un fait que cette oeuvre n’a pas la force théâtrale des deux qui l’ont précédée. Et pourtant, telle qu’elle vient de nous être présentée au Théârte d'Esch/Alzette cette semaine, adaptée par Laurent Hatat et Thomas Piasecki, elle a pris soudain de belles couleurs dramaturgiques. Telle qu’elle a été mise en scène par Laurent Hatat et interprétée par ses comédiens, elle est une belle fête théâtrale.
Chacune des pièces de la trilogie a un sous-titre qui la caractérise bien: «La Précaution inutile» pour «Le Barbier de Séville», «La Folle journée» pour «Le Mariage de Figaro», et «L’Autre Tartuffe» pour «La Mère coupable». Effectivement, Bégearss, comme son prédécesseur moliéresque, s’est introduit dans une famille, celle du Comte Almaviva, pour épouser la fille, éliminer un fils, accuser une mère, abuser un mari, et évidemment s’enrichir. C’est un fourbe majuscule! Mais Figaro et Suzanne, qui en ont vu d’autres dans les deux premiers épisodes de la série, ne manquent pas de ressources inventives pour venir à bout de l’imposteur.
Connotations contemporaines
S’il n’y avait rien de bien novateur ni de bouleversant dans l’intrigue initiale, heureusement pour nous, Laurent Hatat et Thomas Piasecki l’ont adaptée. Ils l’ont à la fois allégée et densifiée. Ils ont d’abord réussi à lui conférer le rythme soutenu d’une comédie, ce qui est essentiel, on le sait: ça roule!
Ensuite, tout en en respectant la tonalité d’époque (les subjonctifs imparfaits tombent à propos, les phrases sont souvent sentences ciselées et savoureuses), ils l’ont enrichie de notations et connotations plus contemporaines, et bienvenues: le statut de la femme (la jeune fille aime, mais pourquoi devrait-elle se marier; pauvre Rosine enfermée dans une féminité dépendante), Bergeass est un expert en «ingénierie fiscale», le «petit personnel» nécessaire à la vie quotidienne vient d’ailleurs, comme le prouve sa langue, etc. Mais pas de discours pesamment idéologique, tout cela va de soi, dans le (bon) air de notre temps.
Un décor qui est celui d’un plateau de théâtre.
Cette même légèreté, cette même allégresse significative s’épanouissent dans la mise en scène: Laurent Hatat nous invite à le rejoindre dans un décor qui est celui d’un plateau de théâtre où ses comédiens vont répéterjouer cette histoire de «tel est pris qui croyait prendre». Chacun, exactement distribué, surjoue son rôle en toute maîtrise, avec une fougue, un emportement, un abattement, un désespoir exactement surlignés. Le spectateur se réjouit de ce «jeu»-là, tout en y croyant, ce qui est le signe du bel équilibre atteint et maintenu.
«Théâtre, théâtre» s’exclame Figaro! C’était aussi le cri de bonheur de ces comédiens français-là, si heureux de pouvoir enfin jouer – même, rendez-vous compte, si ce n’était que pour une seule fois! Mais, espérons-le, rendez-vous est pris pour qu’ils puissent reprendre tout cela en des temps meilleurs. C’était aussi le cri – in petto, mais exprimé dans des applaudissements très chaleureux – de ces cent spectateurs-là masqués distanciés (conformément à la règle), si heureux que l’on joue pour eux, et si bien.