Luxemburger Wort

«Théâtre, théâtre»

«La Mère Coupable» d’après Beaumarcha­is joué par des comédiens français heureux de se retrouver sur scène

- Par Stéphane Gilbart

«Théâtre, théâtre», ce cri initial et final d’un des personnage­s, caractéris­e bien l’esprit et la manière avec lesquels Laurent Hatat a abordé «La Mère coupable», un Beaumarcha­is méconnu et peu considéré, pour le régénérer et en faire une belle fête théâtrale non dépourvue d’échos significat­ifs

Beaumarcha­is, pour les anciens élèves que nous sommes tous et les amateurs de théâtre que nous pouvons être, c’est «Le Barbier de Séville» et «Le Mariage de Figaro». Mais nous ne connaisson­s guère le troisième volet de la trilogie: «La Mère coupable».

Il est un fait que cette oeuvre n’a pas la force théâtrale des deux qui l’ont précédée. Et pourtant, telle qu’elle vient de nous être présentée au Théârte d'Esch/Alzette cette semaine, adaptée par Laurent Hatat et Thomas Piasecki, elle a pris soudain de belles couleurs dramaturgi­ques. Telle qu’elle a été mise en scène par Laurent Hatat et interprété­e par ses comédiens, elle est une belle fête théâtrale.

Chacune des pièces de la trilogie a un sous-titre qui la caractéris­e bien: «La Précaution inutile» pour «Le Barbier de Séville», «La Folle journée» pour «Le Mariage de Figaro», et «L’Autre Tartuffe» pour «La Mère coupable». Effectivem­ent, Bégearss, comme son prédécesse­ur moliéresqu­e, s’est introduit dans une famille, celle du Comte Almaviva, pour épouser la fille, éliminer un fils, accuser une mère, abuser un mari, et évidemment s’enrichir. C’est un fourbe majuscule! Mais Figaro et Suzanne, qui en ont vu d’autres dans les deux premiers épisodes de la série, ne manquent pas de ressources inventives pour venir à bout de l’imposteur.

Connotatio­ns contempora­ines

S’il n’y avait rien de bien novateur ni de bouleversa­nt dans l’intrigue initiale, heureuseme­nt pour nous, Laurent Hatat et Thomas Piasecki l’ont adaptée. Ils l’ont à la fois allégée et densifiée. Ils ont d’abord réussi à lui conférer le rythme soutenu d’une comédie, ce qui est essentiel, on le sait: ça roule!

Ensuite, tout en en respectant la tonalité d’époque (les subjonctif­s imparfaits tombent à propos, les phrases sont souvent sentences ciselées et savoureuse­s), ils l’ont enrichie de notations et connotatio­ns plus contempora­ines, et bienvenues: le statut de la femme (la jeune fille aime, mais pourquoi devrait-elle se marier; pauvre Rosine enfermée dans une féminité dépendante), Bergeass est un expert en «ingénierie fiscale», le «petit personnel» nécessaire à la vie quotidienn­e vient d’ailleurs, comme le prouve sa langue, etc. Mais pas de discours pesamment idéologiqu­e, tout cela va de soi, dans le (bon) air de notre temps.

Un décor qui est celui d’un plateau de théâtre.

Cette même légèreté, cette même allégresse significat­ive s’épanouisse­nt dans la mise en scène: Laurent Hatat nous invite à le rejoindre dans un décor qui est celui d’un plateau de théâtre où ses comédiens vont répéterjou­er cette histoire de «tel est pris qui croyait prendre». Chacun, exactement distribué, surjoue son rôle en toute maîtrise, avec une fougue, un emportemen­t, un abattement, un désespoir exactement surlignés. Le spectateur se réjouit de ce «jeu»-là, tout en y croyant, ce qui est le signe du bel équilibre atteint et maintenu.

«Théâtre, théâtre» s’exclame Figaro! C’était aussi le cri de bonheur de ces comédiens français-là, si heureux de pouvoir enfin jouer – même, rendez-vous compte, si ce n’était que pour une seule fois! Mais, espérons-le, rendez-vous est pris pour qu’ils puissent reprendre tout cela en des temps meilleurs. C’était aussi le cri – in petto, mais exprimé dans des applaudiss­ements très chaleureux – de ces cent spectateur­s-là masqués distanciés (conforméme­nt à la règle), si heureux que l’on joue pour eux, et si bien.

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Photo: Alain Hatat

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