Aline Mayrisch et la photographie d’art
Aux sources d’un intérêt pour l’art antique
Un ensemble de cinq chemises contenant 265 documents photographiques appartenant à Aline Mayrisch a été déposé en 2019 au CNL. Cette donation de l’ancien directeur de la CroixRouge luxembourgeoise Roland Hoff nous permet d’aborder, par un autre canal, les voyages en Italie, en Grèce et en Égypte de la dame de Colpach et préfigure ses futures acquisitions d’oeuvres d’art.
À la fin du XIXe siècle, l’Italie, avec ses monuments classiques et ses oeuvres de la Renaissance, reste encore pour les artistes voyageurs une source majeure d’inspiration. Le fameux Grand Tour, comme on le nommait, attire désormais les touristes bourgeois tels Aline Mayrisch et André Gide. Ils reviennent souvent les malles chargées d’images souvenirs des fresques de Florence, des monuments de Rome ou encore des ruines de Pompéi.
Les studios italiens
Quelques années à peine après l’invention de la photographie, les frères Alinari ouvrent en 1852 leur studio à Florence et entreprennent en Toscane la première véritable industrialisation de l’image reproductible des collections d’art grâce aux accords qu’ils signent avec les grands musées italiens naissants. Les photographies présentées aux grandes expositions universelles de Paris, Londres et Bruxelles permettent une diffusion internationale de ce nouveau procédé de reproduction de l’art en série à moindre coût. Auparavant, les gravures étaient le seul moyen de fixer une image. Les frères arpentent d’abord Pise, Sienne, Pérouse et Assise. Ils poursuivent leurs prises de vue aux Musei Vaticani et au Museo nazionale delle Terme à Rome, à la Pinacoteca Nazionale di Brera à Milan, au Museo archeologico nazionale de Naples et à la Galleria dell'Accademia de Venise. Les dessins de la Gallerie degli Uffizi, Gabinetto
Les photographies du trône de Ludovisi conservé au Musée des Thermes de Dioclétien sont encore des exemples éloquents de son intérêt pour la culture antique. En effet, l’une des faces représente une femme jouant de l’aulos couramment utilisé dans l’antiquité. Il est fait allusion à cet instrument dans le tableau de Maurice Denis La Danse d’Alceste (Paysage à Tivoli) accroché dans le petit salon du château de Colpach. L’ami de Gide y évoque un épisode de la mythologie grecque dans les ruines de la villa d’Hadrien à Tivoli qu’Aline Mayrisch visite au printemps 1913.
Parmi ce lot de tirages photographiques des studios Alinari, une reproduction attire notre attention: celle de La Cène peinte par Le Tintoret à la fin du XVIe siècle et conservée en la Basilique San Giorgio Maggiore de Venise. L’édifice religieux est le sujet principal du magnifique tableau pointilliste San Giorgio Maggiore (Venise) d’Henri-Edmond Cross qu’Aline Mayrisch lèguera à sa grande amie Maria Van Rysselberghe en 1947.
À propos de cette longue amitié, nul ne s’étonnera de la présence, dans une des chemises, de reproductions photographiques de tableaux de Théo Van Rysselberghe réalisées par le marchand d’art Eugène Druet, chez qui les Mayrisch achètent régulièrement leurs tableaux. Les photographies en question concernent, pour la plupart, des portraits que le peintre postimpressioniste a faits de son épouse, notamment un très beau tirage du tableau Maria Van Rysselberghe à la robe noire peint en 1911 et conservé dans les collections de la Quintet Private Bank à Luxembourg. La reproduction photographique du tableau L'Heure embrasée (Saint-Tropez) de Théo Van Rysselberghe exposé à La Libre Esthétique de 1898 pourrait bien être la première référence du peintre dans la collection.
Une dernière chemise contient une série de tirages des principaux sites archéologiques égyptiens, Louxor, Saqqarah, les pyramides et le Sphinx de Gizeh, que l’on peut mettre en résonance avec le voyage en Égypte d’Aline Mayrisch et de Maria Van Rysselberghe en 1934. Quelques photos de pièces célèbres, telles la statue de Rahotep, le scribe accroupi de la 4e dynastie, un bas-relief du temple funéraire de Ramsès II et le buste de Néfertiti, passent en revue les différentes dynasties et finissent de parfaire nos connaissances sur la civilisation égyptienne en s’exposant dans les vitrines des collections du Musée égyptien Le Caire inauguré en 1902. L’essentiel des prises de vues a été fait par les frères Zangaki qui, entre 1870 et 1915, commercialisent des tirages en grande série de l'Égypte. Le nom du studio Gabriel Lekegian apparaît aussi sur certaines des images les plus célèbres de l’Égypte de la fin du XIXe siècle. Il est intéressant de constater que ces sites ont été, pour la plupart, fouillés par le père de l’archéologie moderne, Flinders Petrie, dont le titre de l’ouvrage Ten Years’ Digging in Egypt est précisément annoté au crayon sur la chemise en question. L'égyptologie, discipline récente née au début du XIXe siècle, intéresse Aline Mayrisch.
D’autres pépites méritent encore notre attention, dont une belle épreuve gélatino-argentique montée sur carton qui, datant de 1897 et provenant du studio Franz Hanfstaengl de Munich, illustre la célèbre Salomé de Max Klinger conservée au Staatliche Kunstsammlungen de Dresde. La jeune Aline Mayrisch est bien au fait du travail de l'artiste et de la Sécession munichoise au travers de ses articles parus dans la revue belge L'Art Moderne au tournant du siècle.
Tous ces documents photographiques rassemblés au fil des années ont certes dû représenter pour elle de précieux instruments d’étude.
Le voyage en Égypte (1934)
* Patricia De Zwaef est historienne de l’Art – experte assermentée XIXe et XXe siècles