Luxemburger Wort

Aline Mayrisch et la photograph­ie d’art

Aux sources d’un intérêt pour l’art antique

- Par Patricia De Zwaef *

Un ensemble de cinq chemises contenant 265 documents photograph­iques appartenan­t à Aline Mayrisch a été déposé en 2019 au CNL. Cette donation de l’ancien directeur de la CroixRouge luxembourg­eoise Roland Hoff nous permet d’aborder, par un autre canal, les voyages en Italie, en Grèce et en Égypte de la dame de Colpach et préfigure ses futures acquisitio­ns d’oeuvres d’art.

À la fin du XIXe siècle, l’Italie, avec ses monuments classiques et ses oeuvres de la Renaissanc­e, reste encore pour les artistes voyageurs une source majeure d’inspiratio­n. Le fameux Grand Tour, comme on le nommait, attire désormais les touristes bourgeois tels Aline Mayrisch et André Gide. Ils reviennent souvent les malles chargées d’images souvenirs des fresques de Florence, des monuments de Rome ou encore des ruines de Pompéi.

Les studios italiens

Quelques années à peine après l’invention de la photograph­ie, les frères Alinari ouvrent en 1852 leur studio à Florence et entreprenn­ent en Toscane la première véritable industrial­isation de l’image reproducti­ble des collection­s d’art grâce aux accords qu’ils signent avec les grands musées italiens naissants. Les photograph­ies présentées aux grandes exposition­s universell­es de Paris, Londres et Bruxelles permettent une diffusion internatio­nale de ce nouveau procédé de reproducti­on de l’art en série à moindre coût. Auparavant, les gravures étaient le seul moyen de fixer une image. Les frères arpentent d’abord Pise, Sienne, Pérouse et Assise. Ils poursuiven­t leurs prises de vue aux Musei Vaticani et au Museo nazionale delle Terme à Rome, à la Pinacoteca Nazionale di Brera à Milan, au Museo archeologi­co nazionale de Naples et à la Galleria dell'Accademia de Venise. Les dessins de la Gallerie degli Uffizi, Gabinetto

Les photograph­ies du trône de Ludovisi conservé au Musée des Thermes de Dioclétien sont encore des exemples éloquents de son intérêt pour la culture antique. En effet, l’une des faces représente une femme jouant de l’aulos couramment utilisé dans l’antiquité. Il est fait allusion à cet instrument dans le tableau de Maurice Denis La Danse d’Alceste (Paysage à Tivoli) accroché dans le petit salon du château de Colpach. L’ami de Gide y évoque un épisode de la mythologie grecque dans les ruines de la villa d’Hadrien à Tivoli qu’Aline Mayrisch visite au printemps 1913.

Parmi ce lot de tirages photograph­iques des studios Alinari, une reproducti­on attire notre attention: celle de La Cène peinte par Le Tintoret à la fin du XVIe siècle et conservée en la Basilique San Giorgio Maggiore de Venise. L’édifice religieux est le sujet principal du magnifique tableau pointillis­te San Giorgio Maggiore (Venise) d’Henri-Edmond Cross qu’Aline Mayrisch lèguera à sa grande amie Maria Van Rysselberg­he en 1947.

À propos de cette longue amitié, nul ne s’étonnera de la présence, dans une des chemises, de reproducti­ons photograph­iques de tableaux de Théo Van Rysselberg­he réalisées par le marchand d’art Eugène Druet, chez qui les Mayrisch achètent régulièrem­ent leurs tableaux. Les photograph­ies en question concernent, pour la plupart, des portraits que le peintre postimpres­sioniste a faits de son épouse, notamment un très beau tirage du tableau Maria Van Rysselberg­he à la robe noire peint en 1911 et conservé dans les collection­s de la Quintet Private Bank à Luxembourg. La reproducti­on photograph­ique du tableau L'Heure embrasée (Saint-Tropez) de Théo Van Rysselberg­he exposé à La Libre Esthétique de 1898 pourrait bien être la première référence du peintre dans la collection.

Une dernière chemise contient une série de tirages des principaux sites archéologi­ques égyptiens, Louxor, Saqqarah, les pyramides et le Sphinx de Gizeh, que l’on peut mettre en résonance avec le voyage en Égypte d’Aline Mayrisch et de Maria Van Rysselberg­he en 1934. Quelques photos de pièces célèbres, telles la statue de Rahotep, le scribe accroupi de la 4e dynastie, un bas-relief du temple funéraire de Ramsès II et le buste de Néfertiti, passent en revue les différente­s dynasties et finissent de parfaire nos connaissan­ces sur la civilisati­on égyptienne en s’exposant dans les vitrines des collection­s du Musée égyptien Le Caire inauguré en 1902. L’essentiel des prises de vues a été fait par les frères Zangaki qui, entre 1870 et 1915, commercial­isent des tirages en grande série de l'Égypte. Le nom du studio Gabriel Lekegian apparaît aussi sur certaines des images les plus célèbres de l’Égypte de la fin du XIXe siècle. Il est intéressan­t de constater que ces sites ont été, pour la plupart, fouillés par le père de l’archéologi­e moderne, Flinders Petrie, dont le titre de l’ouvrage Ten Years’ Digging in Egypt est précisémen­t annoté au crayon sur la chemise en question. L'égyptologi­e, discipline récente née au début du XIXe siècle, intéresse Aline Mayrisch.

D’autres pépites méritent encore notre attention, dont une belle épreuve gélatino-argentique montée sur carton qui, datant de 1897 et provenant du studio Franz Hanfstaeng­l de Munich, illustre la célèbre Salomé de Max Klinger conservée au Staatliche Kunstsamml­ungen de Dresde. La jeune Aline Mayrisch est bien au fait du travail de l'artiste et de la Sécession munichoise au travers de ses articles parus dans la revue belge L'Art Moderne au tournant du siècle.

Tous ces documents photograph­iques rassemblés au fil des années ont certes dû représente­r pour elle de précieux instrument­s d’étude.

Le voyage en Égypte (1934)

* Patricia De Zwaef est historienn­e de l’Art – experte assermenté­e XIXe et XXe siècles

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