Avec le mode d’emploi
«Tosca» de Giacomo Puccini à La Monnaie à Bruxelles
A La Monnaie, Rafael R. Villalobos a voulu éclairer autrement «Tosca», le chef-d’oeuvre de Giacomo Puccini, en le conjuguant avec la destinée tragique et les convictions du cinéaste italien Pier Paolo Pasolini. Un point de vue dont il donne le mode d’emploi, mais qui intellectualise l’approche de cette oeuvre aux émotions si fortes. Heureusement, le chef, l’orchestre et les solistes les préservent.
Tosca, on le sait, est un magnifique personnage: jeune femme amoureuse et diva, expressive dans ses sentiments comme dans son art, elle a vécu, chante-t-elle dans l’air célèbre «Vissi d’arte», «d’art et d’amour», «n’a jamais fait de mal à âme qui vive, a soulagé toutes les misères qu’elle a rencontrées». Le choc avec le réel est plus que brutal, tragique: elle tentera tout, en vain, pour sauver son Mario Cavaradossi des griffes de Scarpia, le sinistre chef de la police romaine. La jeune femme élégante, joyeuse, jalouse comme il convient, s’est métamorphosée en héroïne sublime.
Ces personnages-là, Rafael R. Villalobos, le metteur en scène, a voulu les installer dans une autre perspective en rapprochant leur situation, leurs réactions, l’évolution de leurs états d’âme, de la destinée et de l’oeuvre du cinéaste italien Pier Paolo Pasolini.
Il met en exergue la toute-puissance de l’Eglise, dénonce avec Scarpia «un bigot sadique qui mêle à la religion ses pratiques libertines». Dans le bureau de celui-ci, d’immense tableaux de femmes et d’hommes nus. Des jeunes gens nus eux aussi, manifestement habitués des lieux. Le rapport sexuel qu’il propose à Tosca en échange de la liberté de Cavaradossi, est plus qu’explicitement sado-masochiste. Le metteur en scène donne également davantage d’espace au sacristain, homme pervers très «préoccupé» des enfants de choeur.
La perversité des pouvoirs politiques et religieux
Cela suffirait à dénoncer la perversité des deux pouvoirs, politique et religieux, mais pour que la clé pasolinienne soit comprise par les spectateurs, Villalobos est obligé de faire défiler des textes qui l’explicitent. Il est obligé de nous donner le mode d’emploi – concrétisé aussi par les présences muettes d’un Pasolini enfant et d’un Pasolini adulte sur le plateau, par une séquence, dans une loge latérale, de drague homosexuelle tarifée du cinéaste.
Et cette fois encore, on voit, on regarde, on essaie de comprendre, on lit et on se dit: «ah oui, d’accord», sans que cela ajoute réellement au sens de l’oeuvre de Puccini ou permette de mieux appréhender le cinéaste. On est et on reste spectateur.
Heureusement, et cette fois encore, la musique finit par l’emporter. Le rôle de Tosca est pleinement assumé, vocalement et scéniquement, par Myrtò Papatanasiu: élégante, virevoltante, déchirée, décisive, rattrapée par le destin.
Laurent Naouri a toutes les ambiguïtés de Scarpia, dans ses apparences comme dans son chant. Pavel Cernoch en rebelle Angelotti est aussi amoureux qu’héroïque, et Riccardo Novaro ne rate pas l’occasion qui lui est donnée ici de faire davantage voir et entendre
Le choc avec le réel est plus que brutal, tragique. son personnage de sacristain.
A cause de la Covid et des mesures de distanciation qu’il impose, l’orchestre est en formation réduite: une trentaine d’instrumentistes à peine pour une partition revue par Frédéric Chaslin. Ce qui, cette fois encore, et on peut s’en réjouir, donne, Alain Altinoglu y excelle, d’autres tonalités à l’oeuvre, davantage chambriste, davantage nuancée dans l’expression d’émotions et de sentiments superlatifs.
Et cette fois encore, aux derniers moments de l’oeuvre, comme pour les rencontres ultimes de Carmen et Don José ou de Desdémone et Otello, le metteur en scène ne peut que s’effacer, laissant s’imposer la musique et les voix.
Représentations jusqu’au 2 juillet www.lamonnaie.be