Luxemburger Wort

Une fable éternelle

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Du groin à la queue, en passant par les joues, les oreilles et même les pieds, «dans le cochon, tout est bon», c’est bien connu. Mais est-ce vraiment le cas? On attribue cette expression au gastronome et philosophe du goût Brillat-Savarin. Pourtant il en existe aussi une version populaire anglaise de cette expression qui dit «you can eat all of the pig except the squeal», c’est à dire «dans le cochon, tout est bon sauf le cri» qui est un cri de détresse particuliè­rement puissant et désagréabl­e.

A lire «La Ferme des animaux» de George Orwell dont une nouvelle traduction française vient d’être publiée, on se rend vite compte que le cochon est loin d’être si bon. Inutile de rappeler cette fable et son dénouement, elle est connue. Inutile non plus de citer la phrase la plus présente chez tous, «tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres» – tiens, voilà qui est fait!

J’aimerais par contre me pencher plutôt sur un passage qui a particuliè­rement touché mes enfants à la lecture commune en famille, souvent le soir à table devant charcuteri­es, volailles et autres cochonnail­les: «L’Homme est la seule créature qui consomme sans produire. Il ne donne pas de lait, il ne pond pas d’oeufs, il est trop débile pour pousser la charrue, bien trop lent pour attraper un lapin. Pourtant le voici suzerain de tous les animaux. Il distribue les tâches entre eux, mais ne leur donne en retour que la maigre pitance qui les maintient en vie. Puis il garde pour lui les surplus. Qui laboure le sol? Nous! Qui le féconde? Notre fumier! Et pourtant, pas un parmi nous qui n’ait que sa peau pour tout bien.»

A ces phrases répond une BD du dessinateu­r Ulysse

Gry, «La revanche des espèces menacées» qui nous apprend que le bétail et la volaille représente­nt aujourd’hui l’écrasante majorité des espèces animales. 60% des mammifères sont des animaux d’élevage, 70% des oiseaux de la volaille. Voilà ce qui en est de la biodiversi­té, si bien qu’on qualifie notre époque d’ère anthropocè­ne: un monde où toute la vie tourne autour de l’homme, pour qui la terre n’est plus qu’un énorme fast-food. Sur place ou à emporter?

Bien sûr «La Ferme des animaux» ne tient pas seulement ce propos là, c’est un livre contre la censure, une fable sur la dictature et sur ces nombreuses révolution­s trahies, un pamphlet, c’est de la littératur­e politique que Sartre qualifiera plus tard de littératur­e engagée. L’histoire que nous raconte Orwell est très contempora­ine. C’est une réflexion sur le monde d’aujourd’hui, sur des régimes cinglés qui prennent le pouvoir, sur l’abolition progressiv­e des droits, sur le culte du chef, sur les peuples moutonnier­s qui suivent le mouvement. C’est une fable éternelle.

Il faut dire que George Orwell a écrit ses deux ouvrages les plus lus, «La Ferme des animaux» et «1984», dans les cinq dernières années de sa vie. Et il faut rappeler aussi que «La Ferme des animaux» a connu une montée de ses ventes depuis la pandémie de la Covid, déclenchée bizarremen­t par un animal, le pangolin, un petit mangeur d’insectes de 50 cm de long qui a su provoquer une crise sanitaire et stopper l’économie mondial. C’est ce qu’on nous dit, et peut-être c’est aussi ce qu’on nous fait croire. Cherchez l’erreur! Bonnes vacances, bonnes lectures! mt

George Orwell, «La Ferme des animaux», Folio

Ulysse Gry, «La revanche des espèces menacées», Presque lune

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