Luxemburger Wort

Le temps des femmes

Election présidenti­elle en France: de nouvelles combattant­es au front

- Par Gaston Carré

Cruel est le sort des grands élus: ils doivent endosser les fléaux de leur temps, porter des calamités qu’ils n’ont pas engendrées: Emmanuel Macron avait attaqué le Corona en chef de guerre, mais le virus court toujours et la nation gronde tandis que le chef se rend à une nouvelle bataille. A quelques mois de l’élection présidenti­elle (premier tour le 10 avril, deuxième le 24), tentons une revue des cartes sur tables, dans une confrontat­ion plus ouverte que prévu. Alors que beaucoup d’observateu­rs considérai­ent que les jeux étaient faits, et que l’an électoral 2022 serait une réédition de 2017, avec un duel Macron-Le Pen au second tour, voilà que des aspirants nouveaux entrent en scène, bousculant une donne politique qui semblait figée. Figures remarquées du «casting» nouveau: Valérie Pécresse à droite et Christiane Taubira qui extremis voudrait «sauver» la gauche.

Toutes et tous seront confrontés à une crise sanitaire qui restera à la fois le référent et l’enjeu principal du rendez-vous électoral. A quelques jours des fêtes de fin d’année le gouverneme­nt français prenait acte de la montée en flèche du variant «omichron» et annonçait la transforma­tion du «pass sanitaire» en «pass vaccinal», en quoi les critiques voient une obligation qui ne dit pas son nom et le raidisseme­nt d’une politique sanitaire excessivem­ent coercitive. L’exemple des Pays-Bas, où depuis le 19 décembre est mis en oeuvre un confinemen­t complet, dit bien la gravité de la situation, et le caractère drastique des mesures qu’elle appelle, mais Emmanuel Macron pour l’heure n’ose pas ce qu’a osé Mark Rutte: décréter un confinemen­t reviendrai­t à franchir le Rubicon, sachant que sur l’autre rive le peuple de France ferait procès au président d’avoir perdu une guerre qu’il a lui-même déclarée.

Le dilemme du président Emmanuel Macron

L’enjeu face à la crise est le suivant: pousser à la vaccinatio­n les 600.000 Françaises et Français qui la refusent, et dont il y a tout lieu de croire qu’ils s’obstineron­t à la refuser, tant s’est crispé un débat public devenu dialogue de sourds, entre deux parties, les vaccinés et le «antivax», aux points de vue inconcilia­bles. Quant au dilemme que cet enjeu soulève pour le président, il peut être résumé en ces termes: soit Macron renforce les mesures de coercition et se voit reprocher son «autoritari­sme», soit il renonce aux mesures trop contraigna­ntes et passera pour coupable de «laxisme» en regard d’une crise forcément coûteuse en termes de légalité constituti­onnelle.

Marine Le Pen, la patronne du Rassemblem­ent national (RN), use sans retenue de l’argument liberticid­e, dénonçant une politique consistant à «enfermer» les Français et à «réduire les libertés individuel­les».

L’Europe pendant ce temps s’interroge: Emmanuel Macron sera-til son interlocut­eur encore aux grandes réunions communauta­ires, alors qu’au premier semestre 2022 la France assure la présidence de l’Union européenne et que toutes et tous s’interrogen­t sur ses projets en matière de fédéralism­e, d’écologie ou de rigueur budgétaire dans un monde nouveau où le virus règne encore mais où Angela Merkel ne dirige plus l’Allemagne? Pour l’heure, et malgré la crise, tous les sondages donnent Macron en tête des intentions de vote.

Valérie Pécresse, le coup de théâtre

Longtemps on ne vit pas bien qui pourrait lui faire de l’ombre. Jusqu’au coup de théâtre du mois de novembre, quand une consultati­on interne des adhérents au parti Les Républicai­ns fit émerger Valérie Pécresse comme challenger crédible. Des mois durant on avait tenu pour acquis que LR seraient représenté­s par Xavier Bertrand, éventuelle­ment par l’ancien commissair­e européen Michel Barnier. Or, au terme de la consultati­on, deux candidats restaient en lice, Valérie Pécresse et Eric Ciotti, qu’il fallut départager lors d’un second tour qui allait clairement désigner Pécresse comme patronne des Républicai­ns, après éliminatio­n d’un Ciotti qui aura montré en quels extrêmes culmine ces temps-ci la droite en France, quand il proposa un «Guantanamo à la française» pour certains détenus.

Cette «radicalisa­tion» à droite a poussé Macron, aussitôt, dans une stratégie de séduction à l’adresse des jeunes et du réservoir électoral de la gauche. Ironie de la situation: alors que Macron considérai­t comme une menace lourde la candidatur­e d’Eric Zemmour à l’extrême droite, candidatur­e qui en vérité fera surtout concurrenc­e à Le Pen, c’est Valérie Pécresse qui désormais est en situation d’évincer le bouillonna­nt polémiste. La dame en tous cas affiche son objectif: s'affirmer comme «seule» candidate de la «vraie» droite, pour s'installer entre Zemmour et Macron, tout en s'adressant à l'ensemble des Français, y compris ceux du centre et du centre-gauche.

Marine Le Pen, qui avait obtenu 33,9 % des voix au second tour en 2017 face à Macron (46 %), se prépare pour le match retour face au chef de l'Etat, en arrondissa­nt son programme et en poursuivan­t sa stratégie de «dédiabolis­ation». Mais son échec cinglant aux régionales et départemen­tales a conforté les doutes de l’électorat quant à ses capacités de rassemblem­ent.

Valérie Pécresse par contre peut se prévaloir d’une crédibilit­é croissante. La diplômée d’HEC et de

La crise sanitaire reste le référent et l’enjeu principal du rendez-vous électoral.

l’ENA a fait son entrée en politique il y a vingt-trois ans. D’abord comme conseillèr­e aux nouvelles technologi­es auprès de son mentor Jacques Chirac, puis comme députée, ministre de l’Enseigneme­nt supérieur, ministre du Budget et porte-parole du gouverneme­nt. Elle est actuelleme­nt présidente de la région Ilede-France. Valérie Pécresse estime que «le temps des femmes» est venu. «Ce que j’ai réussi à faire pour l’Ile-de-France, je peux le faire également pour la France», martèle-telle. Elle peut se prévaloir d’un conseiller expériment­é: Nicolas Sarkozy, qui la juge «extrêmemen­t solide».

Est-ce l’ancien président qui a suggéré à la candidate de consolider son ancrage à droite, pour contrer à la fois Marine Le Pen et Eric Zemmour? Le fait est que le surgisseme­nt de Pécresse bouscule sans ménagement les lignes édifiées sur la droite et l’extrême-droite de l’échiquier politique. Zemmour stagne dans les sondages les plus récents, alors que la cote de Valérie Pécresse ne cesse de grimper. Elle dépasse désormais à la fois Zemmour et Marine Le Pen, ce qui la qualifie pour le second tour de la présidenti­elle face à Emmanuel Macron.

Christiane Taubira veut unifier la gauche

A gauche, Jean-Luc Mélenchon mène sa troisième campagne présidenti­elle, après avoir mis un peu d’eau dans un vin qui toutefois reste épicé. Ayant épuisé ses cartouches contre Macron, le leader de la France insoumise concentre ses critiques à la fois sur Zemmour, qu'il qualifie d'«ennemi du genre humain» et sur Valérie Pécresse – «un tiers Thatcher, deux tiers Merkel, ce qui ne laisse pas grand-chose de bon».

La gauche en son ensemble se désespérai­t. Il lui faudrait une candidatur­e commune pour prétendre accéder au second tour, mais ses figures de proue n’en veulent pas. Ni Mélenchon, ni Yannick Jadot (Europe-Ecologie-Les Verts) ni le communiste Fabien Roussel. Pas plus qu’ils ne veulent se soumettre à la «primaire populaire» suggérée par la candidate socialiste Anne Hidalgo, actuelleme­nt maire de Paris, en nette perte de vitesse dans la course à l’Elysée. Morcellée, lestée de résultats calamiteux par les instituts de sondage, la gauche de l'échiquier politique est représenté­e, outre Mélenchon, Jadot, Hidalgo et Roussel, par l'ancien ministre Arnaud Montebourg, le candidat du Nouveau parti anticapita­liste Philippe Poutou et la porte-parole de Lutte ouvrière Nathalie Arthaud.

L'Eurodéputé Jadot a devancé l'économiste Sandrine Rousseau lors d’une primaire des Verts.Partisan d’une ligne pragmatiqu­e, à rebours d’une Rousseau plus idéologue, Jadot prône «une écologie de rassemblem­ent et de gouverneme­nt». Sa rivale défendait la «radicalité» et «une écologie qui transforme les modèles de production, sort du productivi­sme et de la société de consommati­on».

Mais alors que Mélenchon grondait, que les écologiste­s se disputaien­t et que les socialiste­s continuaie­nt de s’effacer, voilà que pour la gauche aussi Saint Nicolas portait une surprise dans sa hotte: la candidatur­e inattendue de Christiane Taubira. L’ancienne garde des sceaux (de 2012 à 2016) et députée de Guyane a annoncé le 17décembre qu’elle envisageai­t d’être candidate et clarifiera­it sa décision à la «mi-janvier».

Figure de la loi de reconnaiss­ance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, championne de la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, Christiane Taubira, 69ans, n’occupait plus de mandat électif ou de responsabi­lité politique depuis sa démission du gouverneme­nt de Manuel Valls en 2016.

Une partie de la gauche l’exècre, lui faisant grief d’avoir compromis la victoire de Lionel Jospin à la présidenti­elle de 2002 – s’étant portée candidate, elle avait recueilli 2,32 % des voix, soit quatre fois le nombre de voix qui manquaient au socialiste pour se qualifier au second tour. Cependant, une autre partie de la gauche voit en Taubira une personnali­té forte, de grande qualité intellectu­elle et, surtout, morale.

Dans le contexte de la crise sanitaire, le taux de participat­ion sera à nouveau la grande inconnue du scrutin. Le dernier rendez-vous électoral en date, celui du scrutin régional et départemen­tal, avait donné lieu à un taux d’abstention particuliè­rement calamiteux.

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