Clonage de masse
Billet
On apprend, tardivement, qu’après le retour des talibans à Kaboul 35 footballeuses de l'équipe nationale afghane avaient pu se rendre à Londres, filant à l’anglaise à bord d’un avion financé par Kim Kardashian. Qui est Kim Kardashian?
«Figure médiatique» – c’est un métier – la protubérante Américaine s’est distinguée par maints engagements, politiques ou humanitaires, dont il n’y a pas lieu de ricaner. C’est que l’engagement est devenu assez clairvoyant, ou humble, pour admettre que point n’est besoin de souffrir pour porter assistance aux souffrants. La charité jadis s’appuyait sur une affinité, quand George Harrison était le visage tourmenté du Bangladesh, quand mère Teresa était le corps chétif de Calcutta; cette charité aujourd’hui est le fait de «people» qui signent leurs chèques en cours de shopping ou de shooting, et ne se croient pas tenus de saigner avec leurs protégés. Les bienfaisants nouveaux sont-ils pour autant moins crédibles? Non: on peut être people et sincère.
Cela dit, remarquable est l’égotisme de la dame. Une passion monomaniaque, mise en oeuvre comme un clonage de soi. Kim Kardashian a publié un livre de «selfies», Kardashian sur 325 pages, pléthorique déclinaison d’ellemême, selon un principe de répétition ouvert sur l’infini. Face à cette redondance, on s’étonnera moins de son principe de prolifération que du rapport qu’il instaure entre le moi et le soi: Kardashian ne montre pas Kim, mais Kim contemplant Kardashian, dans un miroir démultipliant sans fin sa surface de réflexion. On s’étonnera, surtout, de ce paradoxe: la dame veut être vue, en son entier suppose-ton, mais ce sont ses courbes surtout qu’elle expose, en quoi Roland Barthes aurait reconnu une «synecdoque», une métonymie consistant à désigner le tout par une partie. Nous prenons acte de l’exposé, étonnés devant l’insolente hétérodoxie de cette opulence s’affirmant alors que la mode depuis trente ans prône l’anorexie, devant cette saillie baroque en un temps qui goûte le gothique étique.
Notons que la saillie devient modèle: des milliers de jeunes filles et de femmes en veulent une pareille, et enflent en poupe grâce aux implants, à la chirurgie, à mille adjuvants. C’est un mimétisme par métamorphose, quand partout dans le monde des «instagrammeuses» veulent ressembler à un même référent. Notons enfin que les technologies du corps permettent à ce fantasme de devenir réalité: le corps tout entier se modèle, se manipule, se bricole.
Le corps se dessine: il devient toile sous la pointe des tatoueurs. Il est matière, malléable, à sculpter, à percer, à transformer par addition ou soustraction. C’est une architecture: on distribue des masses, on brûle des graisses ici, on injecte du tissu là. On débride, on raffermit ou scarifie. Pire: on implante, on introduit du corps étranger par opération chirurgicale, relief auquel on pourra ancrer un anneau ou des breloques, la métamorphose est tendance et le freak c’est chic.
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