Le temps d’un café
... en marge du texte
Une nouvelle année qui débute est comme une porte qui s’ouvre... et pourquoi pas sur un bistrot à Tokyo? Entre Noël et Nouvel An, j’ai lu le roman «Tant que le café est encore chaud»1 de Toshikazu Kawaguchi et je suis tombé sur un petit troquet qui permet de voyager dans le passé en y dégustant un délicieux café. Bien sûr que ce voyage comporte des règles: il ne changera pas le présent et dure tant que le café est encore chaud.
Au «Funiculi Funicula» l’ambiance est particulière: une table précise permet de retourner quelques heures, quelques jours voire même quelques années en arrière, à condition de respecter scrupuleusement les règles. Dans le roman, quatre femmes vont vivre cette singulière expérience et comprendre que le présent importe davantage que le passé et ses regrets. Comme pour le café, il faut savourer chaque gorgée de la vie au moment de la boire. Carpe diem!
Ces femmes ont des motivations différentes, mais la leçon qu’elles apprennent est toujours la même. Qu’il s’agisse de réconciliation, de pardon ou d’un nouvel espoir, la vie est vécue en avant et comprise en arrière: «L’homme n’est pas capable d’appréhender objectivement ce qu’il voit et ce qu’il entend. Les informations qu’il reçoit sont déformées par son expérience, sa pensée, les circonstances, ses fantasmes, ses goûts, ses connaissances ou encore sa conscience.»
Kawaguchi, âgé de 49 ans, est surtout connu au Japon pour ses pièces de théâtre. «Tant que le café est encore chaud» est son premier roman et, naturellement, il y fait appel à ses compétences dramatiques. Son bistrot magique sert de scène par laquelle les personnages doivent passer dans une autre dimension, alors que le monde extérieur n’entre en scène que lorsque l’auteur développe l’histoire de ses personnages. Kawaguchi n’est pas le premier à décrire ce voyage dans le temps. Il s’appuie sur les épaules de nombreux scribouillards qui ont déjà exploité le scénario de H.G. Wells «The Time Machine» dans des pièces de théâtre, des émissions de radio, des bandes dessinées et des films populaires... et puis n’oublions pas la trilogie cinématographique à succès qu’est «Back to the Future» avec Michael J. Fox.
En fin dramaturge, Kawaguchi construit le suspense d’une scène à l’autre en choisissant soigneusement ses indices narratifs. Il ponctue son histoire de signaux sonores: les entrées et sorties de ses personnages sont marquées par une cloche qui sonne lorsque la porte du café magique est ouverte: «ding-dong». Et il s’inspire aussi d’une riche tradition théâtrale japonaise, le kabuki, en incluant des esprits surnaturels, des fantômes macabres qui sont coincés entre le monde physique et le monde des esprits et qui, comiquement, se lèvent de table de temps en temps pour aller aux toilettes.
«Tant que le café est encore chaud» est un joli roman empreint de douceur et de poésie et qui porte avec lui le plaisir fugace d’une tasse de café bien chaud et puis fait penser à cette belle citation de l’actrice anglaise Marie Lloyd (1870-1922) qui disait: «Hier, c’est l’histoire, demain, c’est le mystère, et aujourd’hui c’est un cadeau. C’est pourquoi on le nomme le présent.» mt
«Tant que le café est encore chaud» de Toshikazu Kawaguchi, Editions Albin Michel, 240 pages, 18 euros.