Luxemburger Wort

The best of

- Par Gaston Carré

Billet

En couverture d’un magazine musical: «Les meilleurs albums rock des 20 dernières années». Une revue donc, à la lettre. Une parmi d’autres, car chaque jour désormais publicatio­ns et sites en ligne proposent des recensemen­ts, «tops of» et florilèges, le meilleur du rock ou du jazz, des deux ou cinq décennies écoulées, ou les plus grands pianistes, ou les plus grands films, ou les «cent livres qui ont marqué le siècle».

Riche en passé mais pauvre en projets, la culture est devenue patrimoine. Le patrimoine, c’est la ferveur pâmée de Stéphane Bern en ses sites et monuments, mais c’est l’ennui aussi des enfants durant les sorties dominicale­s, quand les parents mêlent l’instructio­n à l’excursion. La culture est confite dans le ressasseme­nt de ses accompliss­ements, dont elle compile les «best of», inventaire avant liquidatio­n.

La pandémie a catalysé des effets d’élucidatio­n, dont la culture surtout a pâti. On la croyait immanente, tel l’esprit chez Hegel, portant en soi son propre principe. Un principe de recommence­ment, d’incessante régénérati­on. Or voilà qu’elle radote, et qu’à l’instar d’une actrice fanée elle compulse les photos jaunies de ses plus belles prestation­s.

De cette élucidatio­n, la mode du «making of» avait fait le lit, découvrant l’artiste en coulisses. On croyait que l’idée venait au génie dans un lit à baldaquin, nuitamment, précédée d’un char où des chérubins sonnaient tambours et trompettes. Or le confinemen­t a favorisé les dévoilemen­ts d'artistes montrant les rouages et poulies de leur travail de création, dans leur cuisine, tandis que le petit cherche un pot de crème dans le frigo. C’est éclairant sur la gestation d’une chanson mais c’est dégrisant pour nous tous qui depuis deux mille ans croyons que la création procède de l’étincelle, que la musique précède la partition.

Et donc elle avait pris un coup déjà, la culture, avec cette façon d’exhiber ses procédés, mais voilà qu’elle s’achève en révélant qu’elle ne procède plus, qu’elle ne fait que recenser – du «making of» au «best of» il n’y avait qu’un pas. Pot-pourris et manie de l’anthologie: la culture se congratule et astique ses trophées, dans la nostalgie morbide de ses âges d’or. C’est très prétentieu­x, de laisser entendre ainsi que le spectacle est terminé.

Ce qu’on appelle le «déclinisme» est l’effet secondaire d’une pathologie, la mégalomani­e. Une hypertroph­ie du moi, une enflure qui se manifeste par l’idée selon laquelle le monde s’arrête avec nous, qu’il cesse de tourner quand finit notre propre manège. C’est une folie du point de vue de l'intellect, et une très grande faute sur le plan moral, quand aux jeunes on laisse entendre que tout est cuit.

Sortis de la sidération que provoque la pandémie, il faudra leur léguer un avenir. Dire aux jeunes qu’on leur lègue du futur, et que nous comptons sur eux pour le rendre meilleur que ce présent qui finit mal. Faire oeuvre de générosité en somme, notre «best of», notre «top of».

gcarre.carre@gmail.com

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