Luxemburger Wort

Et si c’était la danse?

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... en marge du texte

C’était une première: vendredi dernier, deux cortèges aux opinions différente­s sur la politique sanitaire du pays se sont retrouvés nez à nez dans les rues de la capitale. Marche blanche d’un côté, un groupe de citoyens qui demandent le respect des lois anti-Covid de l’autre. Une vidéo sur notre site web wort.lu a suscité ma curiosité, notamment à cause d’une dame antivax vêtue de blanc qui dansait au milieu du Boulevard John F. Kennedy devant le petit groupe de manifestan­ts.

Eh bien oui! Si c’était ça la réponse? Pourquoi ne pas avoir pensé plutôt? La danse! Cette pandémie qui ne finit pas, ce virus, ces masques, ces vaccins qui nous emmerdent autant que la politique le fait – oui, les gros mots sont permis depuis qu’un président d’une grand pays voisin a utilisé celui-ci dans une interview – et voilà le remède à tout: la danse.

Cela me fait penser au livre «Entrez dans la danse»1 de Jean Teulé, paru aux éditions Julliard. L’écrivain et excellant scénariste de BD parle d’une épidémie, mais d’une épidémie dansante. Cela s’est produit non loin de chez nous, à Strasbourg, et c’était il y a plus de 500 ans. Dans son roman, Jean Teulé revisite à sa manière cet épisode de 1518:– épopée burlesque, conte cruel et grinçant. Je lui laisse la parole:

«Madame Troffea, le vendredi 12 juillet 1518 vers midi, sort de chez elle rue du Jeu-des-Enfants avec son nourrisson, va jusqu’au Pont du Corbeau et balance son môme à la rivière. Elle n’avait plus de lait, ne pouvait donc plus l’allaiter et c’était impossible de le nourrir. Elle revient dans la rue et là, elle se met à danser. D’autres gens qui étaient dans des situations infernales comme elle, la voyant, se sont approchés et se sont mis à danser aussi. Cette danse est devenue contagieus­e et tout le monde est rentré dans le sillage de Troffea. Le problème était que les gens qui s’étaient mis à danser ne pouvaient plus s’arrêter. Ils dansaient nuit et jour et pendant des semaines, même les plus chétifs, les pieds en sang, cartilages apparents. Les gens mourraient d’épuisement ou de crises cardiaques. Le clergé et le maire essayaient d’arrêter ça mais avaient du mal…»

Epidémies, canicule, famine, menaces guerrières et les Turcs aux portes de la ville – en cet été 1518 le sort s’acharne sur Strasbourg. Et voici qu’une jeune mère infanticid­e se met à danser son désespoir. Une foule de danseurs et de danseuses la suivent, et c’est une nouvelle épidémie qui touche la ville au grand dam des autorités locales.

«C’est surnaturel ! S’exclame un évêque. C’est naturel! Contredit un médecin. C’est les deux! Suppose un astrologue. Et un moine qui rectifie: elle mène une sarabande à damner tous les saints, cette sorcière!»

Bien sûr que l’histoire se répète, mais à telle point? Qui l’eût cru! Danses endiablées et mortelles, Shakespear­e lui aussi en a parlé, il appelait cela «the dancing plague», la peste dansante. C’était bien vu!

Résumons tout cela: En 1518 à Strasbourg la France a appris à «faire la chenille», a connaître la «rave», et cette «danse strasbourg­eoise» a été le premier «flash-mob» de l’histoire. «Danser, est-ce taire un cri?» se demande Jean Teulé. mt

Jean Teulé, «Entrez-dans la danse», livre paru en 2018, en poche chez Pocket, 160 pages 5,95 euros. La BD est paru en 2019 chez Delcourt, 96 pages 16,50 euros.

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