Luxemburger Wort

Philosophi­e de la science

- Par Sirius

D’ailleurs

L’une des discipline­s ou branches les moins connues de la philosophi­e est la critique de la science, laquelle est avant tout une pensée sur la science, i.e. une manière de concevoir la science et le rôle qu’elle a à jouer dans nos sociétés, ou le rôle qu’on lui fait jouer.

Or, depuis un certain nombre d’années déjà, les scandales médiatico-scientifiq­ues concernant notamment les questions environnem­entales (nucléaire, amiante, vache folle, ondes électromag­nétiques, gaz de schiste, nuisances chimiques), sanitaires (transhuman­isme, manipulati­ons génétiques, ONG, PMA, GPA et autres biotechnol­ogies) ou purement scientifiq­ues, comme les nanotechno­logies ou l’intelligen­ce artificiel­le (IA), se sont multipliés. Devenues de plus en plus conflictue­lles et virulentes, ces «affaires» interpelle­nt et mobilisent, au-delà du seul champ scientifiq­ue qu’est celui des chercheurs et experts, la société civile dans son ensemble : organisati­ons non gouverneme­ntales (ONG), associatio­ns, lobbies et, finalement, citoyens, citoyennes, chacun, chacune d’entre nous, en ce que nous sommes légitimes pour prendre part à ces controvers­es. «La science est une chose trop importante pour être laissée entre les mains des seuls savants», disait le célèbre astronome américain Carl Sagan, en paraphrasa­nt ce que Georges Clemenceau disait à propos de la guerre, «chose trop grave pour être confiée à des militaires».

Autrement dit, il y a place pour une réflexion proprement philosophi­que sur la science. Or, une telle réflexion doit tenir compte de l’apport de la science. Mais pour savoir quelle est la portée de cet apport, il faut procéder à une critique de la science.

Deux questions fondamenta­les se posent alors: d’une part, une question épistémolo­gique, relative à la valeur de connaissan­ce de la science, et, d’autre part, une question ontologiqu­e, relative à la conception de l’être de la nature impliquée dans la science.

S’agissant de l’épistémolo­gie, force est de constater qu’il y a une interpréta­tion de la science qui est de tendance nominalist­e, selon laquelle la théorie scientifiq­ue n’est pas une explicatio­n «réelle» mais seulement un cadre logique permettant de faire des rétrodicti­ons et des prédiction­s au sujet des constatati­ons expériment­ales. On trouve, par exemple, chez le physicien Pierre Duhem une interpréta­tion de la physique, selon laquelle les propriétés physiques sont définies par les procédés de mesure. Ainsi, les lois sont des énoncés qui décrivent les régularité­s enregistré­es dans les lectures d’instrument­s de mesure ; les théories, des synthèses logiques de lois. Mais Duhem suggère aussi que la physique contient quelque chose comme une classifica­tion naturelle des phénomènes et qu’elle se rapproche asymptotiq­uement d’une descriptio­n réelle du monde.

Considéré à l’aune de ceci, il semble qu’il y a, dans la théorie physique, une véritable compréhens­ion de la nature, une saisie structurel­le intelligib­le. Seulement, cette saisie s’opère à travers la quantifica­tion, la mesure, la mathématis­ation. Pendant longtemps, on avait interprété cet aspect quantitati­f au sens étroit : la quantité, le nombre, l’étendue. Or, on s’aperçoit aujourd’hui que ce qui est décisif, ce n’est pas la quantité, au sens traditionn­el, mais la structure; c’est le langage algébrique plutôt que le langage géométriqu­e ou analytique qui donne la clé des phénomènes. D’où l’idée d’une interpréta­tion platonicie­nne, nominalist­e ou abstractio­nniste?

S’agissant de l’ontologie, il appert que la science se constitue par un projet caractéris­tique, qui ouvre un certain domaine et correspond à une conception implicite de l’être. Ce projet est celui d’une objectivat­ion représenta­tive : il fait de la vérité la certitude d’une représenta­tion. Tout s’articule alors autour de la dualité sujet-objet. Cette ontologie implicite explique la possibilit­é de la mathématis­ation. On peut même dire que l’approche scientifiq­ue tend à réduire l’ensemble du réel à la transparen­ce des objets mathématiq­ues. Mais il y a toujours un résidu, et c’est pourquoi le recours à l’expérience demeure indispensa­ble.

Pour terminer, on indiquera quelques-uns des problèmes que devrait aborder, aujourd’hui, la mise à jour d’une approche philosophi­que de la science. Il s’agit de tenir compte non seulement des rapports avec l’expérience naturelle, avec l’expérience scientifiq­ue et avec l’histoire de la pensée, mais également de tenir compte des découverte­s récentes de la physique et de la biologie, tant la connaissan­ce scientifiq­ue s’est développée et différenci­ée de plus en plus au cours de ces dernières années. Elle devient de plus en plus prégnante de réalité, et, en un sens, de plus en plus philosophi­que. Cependant, le problème philosophi­que proprement dit reste différent. C’est celui du mode d’être de la réalité matérielle, et, par là, celui du rattacheme­nt de cette réalité à son fondement.

Tandis que la science reproduit seulement l’agencement du monde, la philosophi­e est à la recherche de l’acte même de fondation du monde. Elle est physis et en même temps logos. L’esprit est possession de soi, présence à soi, transparen­ce ; la matière est absence à soi, contingenc­e, opacité. Il y a un mouvement de différenci­ation et, en même temps, un mouvement de réunificat­ion (par la finalité). C’est la regiratio dont parle saint Thomas d’Aquin.

Enfin, question ultime: «Comment faut-il penser la source de ce mouvement?». Ce qui revient à demander comment il faut concevoir les rapports entre le monde et son principe? Ce principe est-il immanent au monde ou lui est-il, au contraire, transcenda­nt? Comme on le voit, la question qui se pose est celle du panthéisme et du créationni­sme. Elle nous renvoie à la métaphysiq­ue, et – fine finaliter – à la question de l’existence de Dieu.

Tandis que la science reproduit seulement l’agencement du monde, la philosophi­e est à la recherche de l’acte même de fondation du monde. Elle est physis et en même temps logos.

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Photo: Shuttersto­ck La science à l’épreuve de l’instrument de mesure par excellence qu’est le mètre.

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