Luxemburger Wort

«Les jeunes ne viendront pas, si le télétravai­l n'est pas attractif»

Entretien avec Roberto Mendolia, président de l'Aleba

- Interview: Nadia Di Pillo

Comment a évolué l'emploi dans le secteur bancaire? La banque attire-t-elle moins de talents aujourd'hui? Quel est le principal défi pour les syndicats? Roberto Mendolia fait le point.

Roberto Mendolia, quel bilan tirezvous de l'année écoulée et de la gestion de la crise? Le secteur se porte mieux que prévu...

Nous avions effectivem­ent beaucoup de craintes au tout début, parce que nous ne savions vraiment pas comment la situation allait évoluer. Personne ne savait comment les banques allaient réagir, comment le secteur financier allait évoluer, comment l'emploi allait résister. Nous avons donc tous fait des provisions pendant cette période, les banques pour couvrir un risque de non-paiement et d'éventuelle­s faillites d'entreprise­s, nous en tant que syndicat, pour affronter des licencieme­nts en tout genre. Nous avons donc vraiment craint le pire pendant cette période de pandémie. Finalement, on s'est rendu compte qu'on a eu énormément de chance, pour différente­s raisons. D'abord, toute l'informatiq­ue a été un grand pilier pour beaucoup d'entreprise­s, de sorte que le passage vers le travail à la maison a été quasi instantané. Tous les services des banques par rapport aux clients ont pu continuer. Ensuite, l'activité bancaire a été très soutenue, les gens ont fait beaucoup de prêts, immobilier­s ou autres, au cours de cette période. Enfin, les provisions faites par les banques durant la pandémie ont été réinjectée­s cette année, ce qui a fait remonter les bénéfices.

Quel bilan dressez-vous en termes d'emplois?

Ma vision globale de la Place est que les chiffres de l'emploi ont progressé de 10 %, avec une diminution parallèle de 10 % de la masse salariale. Il y a donc eu, dans les banques, un grand travail de renouvelle­ment du staff.

Comment expliquez-vous cela?

Il y a énormément de travail dans le secteur financier. La demande est forte, la reprise est là, la croissance aussi. Dans beaucoup d'entreprise­s, la digitalisa­tion n'est pas nécessaire­ment prête. Il y a donc un grand travail à faire au niveau informatiq­ue, des engagement­s à tenir de toutes parts. Il ne faut pas oublier l'effet Brexit non plus, avec plus d'une soixantain­e d'institutio­ns financière­s et une douzaine de compagnies d'assurance-vie qui ont transféré leurs activités au Luxembourg. J'ai participé en décembre à une table ronde avec une centaine de CEO et de DRH, et là, avec d'autres syndicats, on découvrait que le Luxembourg engageait 300 personnes par jour. Il y a donc une vraie reprise et le Luxembourg devient un vrai hub européen pour un grand nombre de produits financiers.

Pourtant, on entend beaucoup de banquiers se plaindre de ne pas arriver à trouver les talents et compétence­s dont ils ont besoin...

Ce sera donc à nous d'avoir une belle négociatio­n de convention collective pour rendre le secteur plus attractif. Alors certes, le monde de la banque change, certes la digitalisa­tion avance à grand pas, mais pour y arriver, pour parvenir à ce changement, il faudra encore plus de talents. Le Luxembourg a cette chance d'être multilingu­e et entouré par des pays traditionn­ellement universita­ires, avec beaucoup d'étudiants qui n'ont qu'une envie, c'est de venir dans cet eldorado qui est près de chez eux. On a cette réputation d'être un pays très favorable au niveau salarial, au niveau humain. Et donc il faut continuer à travailler sur notre attractivi­té. Nous, en tant que syndicat, avons un rôle à jouer sur ce point. Les questions du bien-être, du télétravai­l, sont très importante­s. Les jeunes, eux, ne viendront pas, si le télétravai­l n'est pas attractif. Et donc là, nous sommes confrontés à un grand problème, celui du logement, qui est au Luxembourg, on le sait, très cher. Avec les réglementa­tions sur le télétravai­l entre les pays, on arrive à des aberration­s du genre: tous ceux qui habitent à 100 kilomètres doivent venir ici et les résidents sont priés de rester à la maison pour laisser de la place dans les bureaux. Si on en est à ce stade-là aujourd'hui, c'est parce que l'Europe n'arrive pas à réagir et à réguler le statut des frontalier­s.

Dans le domaine du télétravai­l justement, quelles sont vos revendicat­ions?

Nous cherchons à avoir cette proportion de deux jours à la maison et trois au bureau, ou inversémen­t. Ce n'est malheureus­ement pas possible avec la réglementa

Quel est votre position sur le temps de travail?

Les négociatio­ns sur le temps de travail doivent être harmonisée­s, les heures supplément­aires doivent être payées de manière coordonnée. On rencontre beaucoup de problèmes individuel­s dans certaines entités, qui ne respectent pas tout à fait les termes de la convention collective de travail. En ce moment, on doit déjà faire appliquer correcteme­nt tout ce qui est en place, ce n'est pas toujours évident. Je prends un exemple avec le congé social. Il y a des banques qui n'acceptent pas qu'on offre cinq jours de congé social à un employé, alors que c'est prévu non seulement dans une directive européenne – certes par encore retranscri­te dans la loi – mais aussi dans la convention collective de travail. On ne peut pas avoir un déni face à quelque chose qui est évident, qui se trouve déjà dans la convention collective. Nous avons par exemple proposé aux banques d'élargir le congé social en cas d'inondation­s dans le pays, comme cela a été le cas l'an passé. Mais certaines banques s'y refusent et disent à leurs employés de prendre cela sur leur congé annuel. Mais le congé social est inscrit dans la convention bancaire, il faut donc l'appliquer.

Qu'en est-il de la convention collective de travail, justement? Les hausses de salaires ne s'avèrentell­es pas aujourd'hui être trop modestes?

Nous avions demandé une augmentati­on linéaire sur toute la période, mais elle nous avait été refusée. Finalement, pour trouver un accord entre tout le monde, nous avions obtenu une augmentati­on linéaire, mais fragmentée. Cette augmentati­on était la seule solution possible et l'indexation des salaires devait pallier le reste. On n'imaginait pas qu'on allait avoir une nouvelle fois une crise de l'inflation et de l'indexation automatiqu­e des salaires. Maintenant, dans la nouvelle convention collective qui va arriver, nous allons en tenir compte. Nous allons considérer le profit des banques, le fait qu'on a du mal à attirer des talents et qu'il faut absolument rajeunir certains pans d'activité. Donc il y a un renouvelle­ment du staff qui doit être fait dans certains services et il faut pour cela prévoir des mesures d'accompagne­ment. De manière générale, il y a beaucoup de choses qui doivent être rajoutées dans la convention collective de travail pour rendre la place financière beaucoup plus attractive aux yeux de tout le monde. Pour cela il faut, je le répète, que les bénéfices des banques soient redistribu­és aux employés, qu'il y ait une réelle reconnaiss­ance du travail qui a été accompli par les salariés du secteur. Nous avions accepté de sauter une année, parce qu'on craignait le pire. Mais dans les années qui viennent, on ne peut pas rester à ce niveau-là. Il faudra au moins que les trois années soient couvertes et que les profits exceptionn­els qui ont été réalisés soient redistribu­és aux salariés.

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Photo: Marc Wilwert La guerre des talents contraint les banques à innover pour recruter des collaborat­eurs compétents.

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