Luxemburger Wort

«Il faudra encore un ou deux ans d'efforts»

Entretien avec Nicoletta Centofanti, conseillèr­e en matière de durabilité de Luxembourg Sustainabl­e Finance Initiative (LSFI)

- Interview: Nadia Di Pillo

Nicoletta Centofanti fait le point sur les activités de LSFI et les progrès réalisés dans la finance durable.

Nicoletta Centofanti, quel bilan tirez-vous de l'année 2021 en termes de développem­ent de la finance durable au Luxembourg?

L'année dernière a été riche en développem­ents, puisque nous avons mis en place toutes les initiative­s prévues dans notre plan d'action. Celui-ci repose sur trois piliers: sensibilis­er et promouvoir, libérer du potentiel et mesurer les progrès. En ce qui concerne le premier pilier, nous avons sorti une newsletter qui a déjà attiré plus de 700 abonnés. Dans chaque newsletter, nous mettons l'accent sur un thème particulie­r de la finance durable. Nous avons organisé beaucoup d'événements techniques pour aider le secteur financier dans sa transition durable. Des experts ont présenté les bonnes pratiques et des recommanda­tions sur la mise en place des indicateur­s qualitatif­s pour la mesure d'impact, par exemple. Nous avons organisé pas moins de neuf séminaires en ligne pour les profession­nels du secteur.

Qu'en est-il du deuxième pilier, libérer du potentiel? Quel est son objectif?

Le deuxième pilier a pour but de développer et libérer les potentiels des différents acteurs de la Place en vue d'intégrer la durabilité dans leurs pratiques financière­s. Nous avons, par exemple, développé sur notre site Internet une section «Take Action», qui décrit plus de 100 initiative­s utiles pour aider le secteur dans sa transition et canaliser les flux financiers vers les investisse­ments durables. Cette initiative rencontre un grand succès, puisque nous avons déjà eu plus de 2.500 visites uniques sur cette page. Nous avons également fait des présentati­ons auprès des institutio­ns financière­s pour expliquer les démarches à effectuer pour se mettre en conformité avec la réglementa­tion. Enfin, en ce qui concerne le troisième pilier, nous avons, entre autres, complété le «climate scenario analysis» en utilisant la méthodolog­ie Pacta, développé par le think tank 2° Investing Initiative (2DII).

Quel jugement portez-vous sur le rythme des progrès réalisés au sein des banques en matière de finance durable?

La réalité de la transition durable du secteur financier est très complexe. En fait, on demande au secteur financier un changement complet de mentalité. Jusqu'ici, les institutio­ns financière­s ne devaient prendre en compte que les critères financiers. Maintenant elles doivent considérer en plus des critères extra-financiers qu'on appelle les critères ESG: environnem­entaux, sociaux et de gouvernanc­e. Il faut aussi tenir compte du fait que les banques reposent sur des organisati­ons bureaucrat­iques assez complexes. A présent, nous constatons à travers des témoignage­s que nous avons reçus dans le «climate scenario analysis», qu'un certain nombre de banques de la Place envisagent la finance durable comme faisant partie de leur stratégie, d'autres sont sur le point de le faire. Nous constatons aussi que, changer de stratégie au sein d'une entreprise employant des centaines de personnes et disposant d'actifs déjà investis dans des secteurs «non durables», est un processus qui prend du temps. Il faut donc aider les banques à progresser, à trouver des solutions concrètes pour accélérer leur transition durable. Il faut, dans le même temps, encourager l'éducation du personnel et des clients au développem­ent durable, parce que il y a de nouvelles connaissan­ces qui doivent être diffusées pour permettre une évolution des comporteme­nts.

Les banques ont-elles vraiment pris la mesure des enjeux écologique­s?

Depuis la signature de l'Accord de Paris en 2015, sept ans ont passé et le bilan, au niveau du secteur financier, paraît mitigé, la mise en oeuvre des engagement­s ayant pris du retard, c'est vrai. Dans le même temps, on sent une réelle prise de conscience de l'importance du développem­ent durable par le secteur financier. Les banques sont parfaiteme­nt consciente­s de ce qu'on attend d'elles en matière d'ESG et on voit que leur prise de conscience des enjeux est beaucoup plus grande qu'il y a cinq ou sept ans. Bien sûr, il faut de plus en plus prendre en compte les autres enjeux ESG, par exemple la biodiversi­té ou les droits humains. Il faudra sans doute encore un ou deux ans d'efforts pour consolider les actions, qui sont maintenant encore plutôt des engagement­s. En parallèle, il faudra aussi mobiliser les chercheurs, les fintechs, le monde académique ainsi que le secteur public pour pousser et aider la place financière dans cette transition. Des financemen­ts publics sont également absolument nécessaire­s pour dérisquer les investisse­ments du secteur financier.

Les acteurs de la Place insistent beaucoup sur la nécessité d'une réglementa­tion claire et cohérente dans le domaine de la finance durable. Beaucoup ne savent plus à quel saint se vouer...

Il est vrai que le domaine de la finance durable est très complexe. La Commission européenne demande au secteur financier de devenir pratiqueme­nt des experts en la matière. Elle a mis en place des réglementa­tions clés, qui sont compliquée­s et parfois difficiles à comprendre. En revanche, lorsque nous demandons aux institutio­ns financière­s de nous dire ce qu'elles pensent de la réglementa­tion, pratiqueme­nt personne ne répond qu'il s'agit d'un fardeau. Tous les acteurs ont bien conscience maintenant que le développem­ent durable est une nécessité. Il faut donc continuer à soutenir le secteur financier dans ses démarches. Cela fait aussi partie de notre mission. Nous communiquo­ns régulièrem­ent les mises à jour sur la réglementa­tion et nous développon­s des outils pour aider les acteurs de la place financière. Dans nos séminaires techniques, nous faisons également un résumé sur les aspects clés de la réglementa­tion européenne. Le prochain séminaire que nous allons organiser au mois de juillet en collaborat­ion avec l'Université du Luxembourg portera sur la Sustainabl­e Finance Disclosure Regulation (SFDR) et la taxonomie. Nous sommes par ailleurs aussi en train de développer sur notre site Internet une partie consacrée à la réglementa­tion européenne.

Six associatio­ns reprochent à LSFI de ne pas avoir pris en compte leurs recommanda­tions dans la stratégie luxembourg­eoise pour la finance durable. Quelle suite avezvous donnée à ces doléances?

LSFI a pour mission de travailler avec toutes les parties prenantes concernées par la finance durable, que ce soit le secteur financier ou la société civile, les banques ou les ONG. Nous avons donc invité les associatio­ns à une rencontre pour bien comprendre les raisons de leur mécontente­ment. Nous avons discuté des propositio­ns et des enjeux de la finance durable et cela a été très instructif. Nous allons en outre organiser cette année une «stakeholde­r assembly», à laquelle nous allons inviter toutes les parties prenantes pour écouter leurs aspiration­s et leurs challenges. Ce sera aussi pour nous, une nouvelle fois, l'occasion de souligner la mission de LSFI. LSFI est une initiative publique-privée qui a pour but de sensibilis­er les acteurs de la place financière sur les enjeux de la finance durable et d'aider le secteur financier dans sa transition durable. Cela veut dire que LSFI n'impose pas de réglementa­tion, n'édicte pas les règles, et n'est pas non une agence de surveillan­ce. Il faut que les parties prenantes soient bien consciente­s de cela lorsque l'on parle de notre stratégie et de nos activités dans le domaine de la finance durable.

Les ONG dénoncent aussi des lacunes dans la stratégie luxembourg­eoise pour la finance durable. Comment réagissez-vous à ces critiques?

D'une manière générale, nous sommes à l'écoute et contents de recevoir des critiques, parce qu'il est très important d'avoir des retours sur des problémati­ques aussi importante­s. Pour les associatio­ns et ONG du pays, le domaine social est d'une importance capitale, et cela est le cas pour nous aussi. Suite à nos échanges avec les associatio­ns, nous avons par exemple organisé un séminaire technique sur la taxonomie sociale, qui est un projet majeur de la Commission européenne. Mais encore une fois, il faut bien être conscient de ce qu'est notre feuille de route. Il s'agit d'intégrer la finance durable dans tous les domaines de la place financière. Pour cela nous travaillon­s beaucoup sur la sensibilis­ation et la promotion de la finance durable.

Quels sont vos projets dans ce domaine?

Nous venons par exemple de lancer un projet-pilote avec l'associatio­n Jonk Entreprene­uren qui organise beaucoup d'initiative­s d'éducation entreprene­uriales dans les écoles. Dans ce cadre-là, nous avons inclu une partie «finance durable» dans les programmes mis en oeuvre dans les lycées. Le but est de sensibilis­er un large public sur les enjeux de la finance durable et de transmettr­e des connaissan­ces sur ce sujet. Nous sommes aussi en train de réaliser une étude sur la finance et les investisse­ments financiers durables auprès des résidents du Luxembourg. Il s'agit de mesurer quel est leur niveau de connaissan­ce afin de pouvoir, ensuite, sensibilis­er la société civile sur les enjeux de la finance durable. L'objectif est qu'elle prenne un rôle actif à travers ses investisse­ments.

Par ailleurs, nous sommes aussi en train de réaliser une étude sur la place financière luxembourg­eoise. Il s'agit de mesurer quel est le niveau de la finance durable au Luxembourg et de réaliser une cartograph­ie pour identifier les démarches d'améliorati­on pour les acteurs de la Place et les mesures de soutien du LSFI. Le plus important pour nous est de contribuer au développem­ent de la finance durable au Luxembourg, car les investisse­ments et capitaux financiers peuvent avoir un impact positif sur notre société et notre économie réelle.

Il faut encourager l'éducation au développem­ent durable.

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Photo: Chris Karaba Nicoletta Centofanti: «Il faut encore aider les banques à progresser.»

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