Luxemburger Wort

L’abcès crevé

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Et Zemmour? Que fait Eric Zemmour, qui à la tête de «Reconquête» voulait «rendre la France aux Français»? Il contemple son résultat à la présidenti­elle – 7 % des suffrages exprimés – feint de piloter encore un navire coulé et observe avec amertume l’avancée de Marine Le Pen, surfant sur la vague politique qu’il avait lui-même levée.

Comment meurt un théâtre? Il disparaît quand s’effacent ses figures. Les figures deviennent stéréotype­s, puis archétypes, tandis que leur histoire finit en mythe. Eric Zemmour, qui au spectacle politique voulait le premier rôle, ne sera bientôt plus qu’une allégorie, le gisant marbré d’une mythologie – l’an 2022 sera ce moment où la France avait besoin de vénérer un prophète d’apocalypse, de trembler à l’annonce de sa propre chute.

Eric Zemmour ne sera bientôt plus qu’une allégorie, le gisant marbré d’une mythologie.

En attendant, Zemmour est l’homme qui aura avili la politique, la dégradant en foire d’empoigne entre champions de l’identité et zélotes de la porte ouverte. Entre paranoïaqu­es du «grand remplaceme­nt» et flagellant­s de la misère du monde. Zemmour les a tous jetés dans une bataille absurde, autour d’une «identité» largement fantasmée, sorte d’intégrité qu’on aurait perdue et qu’il faudrait restaurer.

Du phénomène Zemmour on pouvait s’inquiéter, certes. Mais on pouvait y voir aussi un processus salutaire. On dira qu’il a précipité, au sens chimique du terme, des peurs diffuses, dont le migrant n’est qu’un visage d’emprunt. On dira qu’il a permis aux hantises de se nommer, même si l’«identité» est un mot trop vaste. Qu’il a permis aux hantés de se rassembler, et à leurs sorciers de toucher le fond. Il s’est trouvé, en 2022, un candidat à l’Elysée, un Républicai­n, pour proposer un «Guantanamo à la française», les deux pieds dans la vase. Or le fond a ceci de bon qu’on ne peut aller plus bas. On dira que Zemmour aura permis au camp adverse de se définir, lui aussi. De se désigner, de nommer ses vertus, quand bien même la «tolérance» est un mot à élargir. Enfin, en jetant les uns contre les autres, il aura favorisé l’explosion de violence qui souvent prélude aux temps de paix, ou la régression qu’exige la maturation.

On dira que l’arène politique a toujours été un espace de catharsis, où crèvent les abcès, et qu’Eric Zemmour fut, en France, et quelques mois durant, un abcès plus grand que les autres. Hélas la nature politique aussi a horreur du vide, Le Pen occupe le champ pathologiq­ue devenu vacant et Le Pen est infiniment plus dangereuse que Zemmour.

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