Tous Zelensky
Volodymyr Zelensky dès les premiers jours de la tragédie ukrainienne fut le télégénique héros de l’Occident, l’homme qui allait légitimer notre animosité à l’encontre de la Russie et incarner nos fantasmes de résistance à son agression, l’homme qui nous soulagerait du malaise que suscitait notre couardise face à la guerre, cette façon de bomber le torse sans se mouiller, d’y prendre position tout en restant les pieds au sec.
Vive était la ferveur que Zelensky provoquait, qu’on dotait de toutes les vaillances et de toutes les vertus. Nous étions tous Zelensky hier encore, comme nous étions tous Charlie jadis. Trop vive, cette ferveur, au point d’en devenir réversible – les observateurs les plus perspicaces pouvaient deviner que le vent de l’engouement ne tarderait pas à tourner, et qu’au premier écueil on ferait payer à notre héros les débordements de notre dévotion.
Le voilà qui souffle, le vent tourné, depuis les images de Zelensky et madame dans le magazine Vogue, publication «de charme». C’est une erreur dit-on, c’est une faute de goût, une faute politique même, de se présenter sur papier glacé quand les compatriotes sont sous le feu des bombes. Mais qu’est-ce que le charme?
Zelensky en use depuis les premiers jours, avec une habileté remarquable. Le charme du bouffon devenu chef de guerre, David tenant tête à Goliath, tendre David dans son t-shirt kaki, n’hésitant pas à défier l’ours devant les caméras
Tous les moyens sont bons pour dire qu’une nation est en danger.
à portée de griffes. Si «charme» est un gros mot, disons que Zelensky nous séduit, et la séduction qu’il exerce peut sauver son pays. Il en use, il n’en joue pas, il nous incombe à nous aussi de ne pas être futiles, car l’affaire est trop grave. Le fait de se présenter dans un magazine de charme ne trivialise pas son combat, n’ôte rien à la noblesse de son engagement – il y a, de ses discours télévisés à son apparition dans Vogue, une gradation de simple forme, non une rupture essentielle.
Les photos de Vogue sont la continuation, avec quelques plumes, de la tactique de communication que Zelensky depuis le début met en oeuvre. Hélas, nous ne voyons plus aujourd’hui que les plumes, et perdons de vue que tous les moyens sont bons pour dire qu’une nation est en danger.
C’est la versatilité de notre engagement que révèle notre consternation devant les images de Vogue, non une inconstance de Zelensky. Ce n’est pas une quelconque frivolité de sa part, c’est la nôtre qu’atteste notre embarras.