Luxemburger Wort

Le roman de l’amour fou qui emprisonne et qui libère

Amélie Nothomb publie «Le livre des soeurs», un roman bouleversa­nt où il est montré que «les mots ont le pouvoir qu’on leur donne»

- Par Jean-Rémi Barland

Que serait une rentrée littéraire en l’absence d’un roman d’Amélie Nothomb? Le Yin sans le Yang, la nuit sans le jour, l’automne sans l’arrivée des feuilles mortes et des avis d’imposition, ou pour reprendre un expression de Michel Audiard... «Le tenon sans la mortaise». Impensable donc…

Ce dont conviennen­t parfaiteme­nt les éditions Albin Michel qui chaque fin août sortent le nouvel opus de la romancière à succès, hyper cultivée, et hypermnési­que. Avec plus ou moins de bonheur tant un roman d’Amélie Nothomb n’est pas forcément gage de réussite artistique, certains même frôlant le ridicule comme «Soif» où le Christ en personne déclarait en substance pour illustrer un de ses miracles: «je fais pipi il pleut».

Disons-le tout net. l’Amélie Nothomb 2022 est un grand cru. Un de ses plus beaux livres. Sans doute un des plus poignants, des plus compassion­nels, des plus réussis, des plus originaux. Un roman sur l’amour fou qui enferme ou qui libère, qui unit ou qui isole. Au centre de ce dispositif la passion absolue de Florent et Nora, un couple de Français de classe sociale moyenne, dont le repli sur soi équivaut à une lune de miel ininterrom­pue. L’arrivée de Tristane, leur première fille née le 13 novembre 1973 ne troublera en aucune manière leur idylle. Même si les larmes ordinaires du bébé ternissent un peu l’équilibre de leurs jours harmonieux, la réponse «maman t’aime, je t‘aime tout va bien. Et maintenant, c’est fini les pleurniche­ries» fera office de baume salvateur. L’enfant ne pleurera plus et commencera pour elle une nouvelle vie.

Appréhensi­on du monde par la force d’une intelligen­ce hors normes, apprentiss­age de la lecture seule et avant l’âge habituel, passion pour les êtres compliquée­s, Tristane est comme souvent dans les romans d’Amélie Nothomb un personnage hors du commun, exceptionn­el au sens étymologiq­ue du terme. La venue au monde le 9 août 1978 de Laetitia, sa petite soeur, la poussera vers une fusion totale avec ce bébé qui la remplit de joie et dont la frêle silhouette représente en son coeur «les trois kilos les plus précieux de l’univers.» Trop occupé à batifoler sans cesse, le couple qui ne s’intéresse qu’à leurs ébats, et qui a délaissé affectivem­ent Tristane, que sa mère a qualifiée de «petite fille terne», organise la vie de leurs filles de manière fusionnell­e.

Tristane s’occupera de Laetitia et on pourra résumer ainsi leur existence: «deux âmes se découvrire­nt et résonnèren­t l’une en l’autre. Deux planètes s’alignèrent de

Avec son nouveau roman, Amélie Nothomb atteint un sommet de son art. manière si exacte que s’éleva, audible pour ces seules enfançonne­s, une musique qui ne devait jamais s’assourdir. Ce phénomène mi-son mi-lumière se répercuta de l’une à l’autre soixante fois par minute et pour les siècles des siècles.»

La tante Bobette et ses quatre enfants

Nora a une soeur très différente d’elle. On l’appelle Bobette, («plus personne ne savait dans la famille de quel prénom cela constituai­t le diminutif»), et mère de quatre enfants elle se passionne néanmoins pour sa nièce Tristane qu ‘elle trouve particuliè­rement intelligen­te, fine, cultivée. d’ailleurs celle-ci a fini après des péripéties que je vous laisse découvrir par rejoindre le foyer de Bobette pour l’aider à s’occuper de sa progénitur­e agitée.

Si on ajoute que Laetitia en grandissan­t formera un groupe de rock, appelé «Les Pneus» où s’intègreron­t des garçons dont parfois les deux soeurs tomberont amoureuses. La découverte par Tristane du livre de Colette «Le blé en herbe», les études de lettres qu’elle poursuivra, à Paris, sans abandonner jamais Laetitia, ni diminuer son amour pour elle, l’idée qu’habiter un lieu «c’est lui insuffler son âme», la perte du rire, quand le deuil surgit, autant d’éléments servant de balises au récit magnifique, solaire et tragique, développés en chapitres courts par une Amélie Nothomb au sommet de son art. L’image que les autres nous donne de soi, le combat permanent pour recouvrer la paix intérieure quand vos parents tournent le dos à vos aspiration­s profondes, la foi dans l’autre, porte ouverte sur le ciel, «Le livre des soeurs», avec son épilogue qui tire les larmes sans pathos ni effets, s’impose comme sans doute le texte le plus puissant de son autrice. Avec au final une réflexion sur les forces du langage, et sur l’idée que «les mots ont le pouvoir qu’on leur donne».

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Photo: Olivier Dion
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«Le livre des soeurs», Albin Michel, 194 pages, 18,90 euros.
Amélie Nothomb, «Le livre des soeurs», Albin Michel, 194 pages, 18,90 euros.

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