Un pays à la hauteur de ses ambitions?
Si la digitalisation n'est pas une fin en soi, elle représente l’une des conditions nécessaires au progrès technologique et sociétal, à l’innovation et aux gains d’efficience, tant pour l’État que pour les citoyens et entreprises. Tout le monde a-t-il pris le virage technologique? Pour répondre à cette question, la Chambre de Commerce a lancé en 2019 un groupe de travail dédié à la «Transition digitale», afin d’évaluer, sur cette thématique, les forces et les faiblesses du Luxembourg, dont l’ambition est de devenir une «Digital Nation».
Quatre ans après la création d’un ministère de la Digitalisation et un peu plus de deux ans après l’éclatement de la crise sanitaire qui a souvent été qualifiée de formidable accélérateur de la transition numérique, le Luxembourg est-il à la hauteur de ses ambitions? Cette question est d’autant plus pertinente que les effets négatifs de la crise de l’offre actuelle peuvent être limités à travers des solutions technologiques tirées par la digitalisation.
Ainsi, la hausse spectaculaire et généralisée des prix et des coûts de production et de prestation de services peut être atténuée, du moins partiellement, par une optimisation des allocations des ressources et des processus de production. L’impact de la crise sur les finances publiques peut être freiné par une exploitation optimisée et systématique de la digitalisation au sein du secteur public, où elle peut être source d’économies et de gains d’efficience substantiels.
À la recherche d’une vision de long terme
Selon la Commission européenne, le Luxembourg se positionne à la troisième place dans le classement 2022 «eGovernment Benchmark», qui compare la maturité en matière de services publics numériques de 35 pays. Le Luxembourg s’améliore dans cette analyse par rapport à 2021 (+ deux places) et par rapport à 2020 (+ huit places). étude élaborée par le groupe de travail de la Chambre de Commerce ¹, les bénéfices économiques d’une digitalisation accrue du secteur public seraient loin d’être anecdotiques, que ce soit en termes d’efficience, de productivité, et donc d’allocation des ressources humaines.
Près de 4.500 personnes ont été recrutées par le secteur public en 2021, soit l’équivalent de 80% d’une classe d’âge au Luxembourg. À ce rythme, cela pourrait entraîner une augmentation de la masse salariale annuelle de 6,1 milliards d’euros d’ici 2030.
Une croissance extensive des ressources humaines et monétaires allouées au secteur public n’est toutefois pas une fatalité à en croire le potentiel d’automatisation des activités ² de différents secteurs ³: 37 % dans les administrations publiques, 26 % dans l’éducation et 36 % dans le domaine social et sanitaire. Ce potentiel peut être atteint grâce à la réorganisation des tâches (simplification des procédures, respect du principe «only once», facturation électronique, …) et au non-remplacement de certains départs en retraite.
En outre, une estimation prudente de gains de productivité de 25 % a été retenue. Cette situation optimisée permettrait de stabiliser le nombre de salariés du secteur public à environ 100.000 personnes à l’horizon 2030, soit 30.000 de moins que dans le cas «business as usual». Le gain monétaire serait substantiel et augmenterait proportionnellement à la digitalisation croissante des services publics, qui ainsi s’autofinancerait.
Grâce à de meilleures interactions avec l’administration, des procédures administratives simplifiées ou encore une information claire et rapide sur l’état d’avancement des dossiers, les entreprises gagneraient un temps précieux et un plus grand nombre de petites et moyennes entreprises (PME) optimiseraient à leur tour leurs procédures.
À ce propos, l’Observatoire français de la qualité des démarches en ligne apparait comme un exemple à suivre. À l’aide de huit critères tels que la disponibilité et la rapidité pour compléter la démarche, la possibilité de ne donner qu’une seule fois les renseignements, la satisfaction de l’usager ou encore la compatibilité mobile, l’Observatoire s’attache à faire progresser la numérisation des 250 démarches en ligne les plus utilisées.
Stimuler la digitalisation à travers
un cadre fiscal attractif
Un policy-mix bien calibré et articulé doit venir soutenir la transition digitale du pays. Et pour ce faire, à chaque cible son dispositif fiscal. Dans la situation tendue actuelle des finances publiques, il faut veiller à des mesures dont le déchet fiscal est limité et dont la capacité d’augmentation du rendement fiscal puisse compenser rapidement ce déchet initial.
Première cible, les personnes physiques. Dans ce cadre, la proposition de loi n°8047 concernant l'impôt sur le revenu aux fins de relancer l'investissement dans l'entrepreneuriat durable et numérique est à saluer. Elle vise, via un incitatif fiscal sous la forme d’un abattement de revenu de 5.000 euros, à encourager les personnes physiques à diriger leur épargne vers des investissements dans des PME ayant des activités durables ou numériques. Au vu de l’épargne excédentaire accumulée depuis le début de la pandémie de Covid-19, qui se chiffre à plusieurs milliards d’euros, la mesure est une alternative à la tendance naturelle qu’ont les ménages luxembourgeois à diriger leur liquidité vers l’investissement immobilier.
Deuxième cible, les entreprises. La Chambre de Commerce propose une super-déduction fiscale pour les dépenses des entreprises ayant trait à la transformation digitale, écologique/environnementale, ou de recherche et développement, trois domaines clés pour lesquels les besoins en investissements sont colossaux et primordiaux.
Une troisième mesure pourrait compléter ces deux mécanismes, en permettant d’octroyer un avantage fiscal au titre des investissements dans les start-up, notamment ceux réalisés par des Business Angels, afin d’inciter les contribuables personnes physiques (qu’ils soient résidents ou non) à investir en numéraire dans les entreprises cibles. La Belgique, le Royaume-Uni, la France et l’Irlande ont en commun de disposer, entre autres, d’un régime fiscal incitatif pour le financement des start-up. Ces mesures ont montré leur efficacité pour attirer des fonds privés et dynamiser l’écosystème, notamment digital.
Pour parachever cet ensemble, des mesures «pro talents», comme l’introduction d’un régime de participation et d’intéressement plus attractif que celui actuellement en place, permettraient de faire davantage participer