Au royaume des six-cordes
Esch2022: exposition «Live, Breathe and Sleep Guitars» au pavillon Skip d’Esch/Belval
«Je perçois le rôle d’un collectionneur comme étant le conservateur de la mémoire et le partageur des histoires qui font la valeur émotionnelle des objets collectionnés»: la profession de foi de Luc Henzig est palpable dès les premiers instants où l’on franchit le seuil du pavillon Skip d’Esch/Belval. La structure jaune, à la forme ondulante, jadis trônait au rondpoint de Raemerech. Pour Esch2022, elle reprend du service à Belval. Comme en ce moment, où le bâtiment expose une cinquantaine de guitares électriques du collectionneur invétéré et également président de la Rockhal.
Le visiteur qui découvre l’exposition «Live, Breathe and Sleep Guitars» est d’abord frappé par l’éclairage des lieux, qui a pour seul but de donner du relief aux instruments placés dans des vitrines.
«Getting Loud», le thème de la première partie est sans appel: l’exposition ne fait pas dans la dentelle, l’heure est au rock’n’roll. Un grand écran installé au fond de l’espace le confirme: alors que les guitares et amplis exposés restent silencieux, les extraits de concerts projetés donnent le ton: Luc Henzig est un passionné de rock pur et dur.
Les Guitar Heroes, les Fender Telecaster et Stratocaster, les Gibson Les Paul et autres modèlessont légion. Sans oublier quelques objets plus inédits et historiques – un Stroh-Violon et autres instruments d’Hawaï ou d’Espagne... , l’exposition retrace en quelques étapes marquantes l’histoire, dès les années 1920, de cet instrument qui allait bouleverser la musique rock durant de nombreuses décennies. Avec un constat sans appel à la clef. Luc Henzig explique: «La technique est toujours la même que celle utilisée dans les années 1930, la forme de l’instrument n’a guère évolué depuis les années 1950».
La digitalisation et ses techniques inhérentes n’ont jamais trouvé un écho fertile dans ce domaine. «Ce qui compte avant tout, ce sont les doigts des guitaristes, avec lesquels ils peuvent réaliser bon nombre d’effets sonores spéciaux. Les pédales, les amplis sont certes des aides, mais n’ont jamais remplacé l’interprétation donnée par un musicien. Avec une symphonie de Beethoven, par exemple, c’est un peu pareil: les notes ne changent pas, mais l’interprétation de l’oeuvre peut être tellement variée», explique le collectionneur.
«Partager des histoires»
L’exposition à Belval présente quelques morceaux choisis de la collection de Luc Henzig, qui compte quelque 700 pièces. Le visiteur découvre des instruments joués par des artistes plus ou moins connus du grand public: Steve Howe (Yes), Tony Brown (Bob Dylan), Bob Margolin (Muddy Water), Noel Gallagher, Ray Monette (Rare Earth), Jack Bruce (Cream), Steve Hunter (Alice Cooper) Paul Crook (Meatloaf), Gary Moore...
Entrepris depuis une vingtaine d’années, le travail de collectionneur suit une logique déterminée. «Chaque pièce est le fruit du travail d’un artisan et fait partie de l’histoire d’un musicien», note Luc Henzig, qui recherche avant tout le contact avec le propriétaire de l’instrument qu’il va acquérir. «Je veux partager des histoires pour les raconter par la suite».
Donc pas question pour lui, de trouver la perle rare dans l’une des nombreuses ventes aux enchères, le marché est bien réel. Payer quatre millions de dollars pour une guitare ayant appartenu à David Gilmour ne fait pas sens pour lui. La valeur ajoutée, du fait du nom prestigieux de son propriétaire, ne justifie pas une telle dépense. Une seule fois, Luc Henzig s’est laissé prendre au jeu des enchères. Par
A l’image des Gibson Les Paul Goldtop (Canned Heat, 1954, h., g.), Gibson EDS-1275 Jimmy Page Limited Edition Aged (Jimmy Page 2007, h., d.), Chandler/Schlechter, Stratocaster Style (Gary Moore, 1986, b.): l’instrument doit raconter une histoire pour avoir sa place dans la collection de Luc Henzig.
le biais d’un intermédiaire, il a acheté à New York une Stratocaster de Joe Bonamassa et a eu ensuite toute la peine du monde à faire venir l’objet au Grand-Duché.
Luc Henzig entretient un lien particulier avec chaque pièce de sa collection, y compris anecdotes et (petites) histoires.
Quel est finalement son guitariste préféré? Là encore la réponse étonne. Il se dirige vers une Gibson Les Paul de 1986 de Leslie West, un musicien aujourd’hui peu connu mais «un vrai monstre de la guitare», insiste Luc Henzig. L’instrument en question a vécu, le passé a laissé des traces indélébiles. «Cela fait partie de l’histoire de cette guitare», commente le collectionneur, qui ne joue pas un de ses instruments. «Tout au plus trois accords. Mettre à la disposition d’un musicien l’un de mes instruments, qu’il n’aurait sinon jamais eu l’occasion de jouer, est pour moi le plus grand plaisir.» L’expérience de Fred Barreto agrippant la Gibson Les Paul Goldtop de 1954 et jouée par Canned Heat à Woodstock en 1969 lui est restée en mémoire.
Se refusant à parler d’argent – «la valeur comptable n’est pas comparable avec la valeur sentimentale» –, une telle collection répond à trois points essentiels: passion, énergie et curiosité. Auxquels il faut ajouter une autre notion essentielle: partage. «Une telle collection doit pouvoir vivre, les instruments doivent être joués». C’est pourquoi la visite de guitaristes dans son royaume des sixcordes ne sont pas rares.
Dans le cadre de l’expo à Esch et du volet «Future Frequencies» de la Rockhal, Fred Barreto et Patrick Miranda ont emprunté quelques grattes à Luc Henzig pour enregistrer un 45T autour d’une relecture de «A sound of E22».
L’exposition propose en outre des visites guidées, mais aussi quelques animations. Histoire de donner vie à trésors exposés. Mais aussi, défendre la place d’un instrument qui aujourd’hui est quelque peu sur le déclin. «Un acte de résistance est nécessaire!», fustige, non sans humour, le collectionneur toujours aussi rock’n’roll.
Une collection doit vivre, les instruments doivent pouvoir être joués. Luc Henzig, collectionneur
Jusqu’au 9 octobre, du mercredi au dimanche de 17 à 21 heures. Infos: www.esch2022.lu www.rockhal.lu www.tuneyoursound.com