Tenter l'impossible
C’est la grande affaire de la rentrée politique en France: Emmanuel Macron convie à un «Conseil national de la Refondation», intitulé emphatique pour un projet homérique, qui grosso modo vise à fournir des assises nouvelles à un pays largement désarrimé. Or personne ne veut y participer, à ce Conseil, face auquel le camp même du président se montre réticent.
Nupes, la coalition de gauche, y voit un coup fourré: Macron par cette initiative veut contourner le Parlement. Les élections législatives ayant affaibli la part macronienne à l’Assemblée, le président chercherait une voie oblique pour la mise en oeuvre de ses desseins, une voie qui ne soit pas encombrée par l’opposition, une voie informelle a priori mais qui dans l’esprit d’un Jean-Luc Mélenchon pourrait bien caraméliser en appareil de décision.
Macron sait que la France est trop cabrée, trop polarisée pour se concerter.
Vraiment? Il faut l’ingénuité paranoïaque de la nouvelle gauche pour prêter à une instance de concertation la force de frappe normative d’un organe de législation. Macron n’a pas cette ingénuité, ni ce machiavélisme d’ailleurs. Par contre il est convaincu encore que la France doit être gérée faute de pouvoir être gouvernée, et qu’un pays peut être géré comme on gère une entreprise. Comment procède une entreprise? Par la «concertation» de ses effectifs, qui vise la légitimation a posteriori de décisions prises par la direction a priori.
Les cabinets de conseil que le président a pour habitude de consulter lui suggèrent que le processus consistant à inviter autour d’une même table de «réflexion» des employés auxquels on n’avait jamais rien demandé auparavant génère une gratification psychologique telle que leur adhésion au projet élaboré est d’emblée assurée.
Le Conseil conçu par le président est l’équivalent institutionnel du séminaire d’entreprise préconisé par les cabinets: un processus un peu miraculeux, qui fait que les participants sont sceptiques le premier jour, mais qu’au troisième on ne les tient plus tant ils débordent de bonne volonté.
En est-il lesté, le président, de ce cynisme-là? Non. C’est l’intégrité, couplée à un regard affuté, qui le pousse à l’action, sachant que partout montent les dangers. Macron sait que la France est trop cabrée, trop polarisée pour se concerter. Il voit que la France veut être dirigée, non pas gérée, et qu’aux maux qui l’accablent déjà s’ajoute le péril de cette aspiration à l’autorité. C’est pourquoi il tente l’impossible.