Luxemburger Wort

Des cas d'école

- Par Thierry Hick

La scène culturelle allemande vit actuelleme­nt deux crises profondes. Le mot «Führer» est banni des livrets des opéras du compositeu­r allemand Richard Wagner programmés à Bayreuth, là où Adolphe Hitler avait ses habitudes. Katharina Wagner, patronne du plus prestigieu­x festival d’opéra d’Allemagne, a fait ce choix, le chef et ancien directeur musical Christian Thielemann, tempère et signale que d’autres opéras sont sujets à problèmes. Vient ensuite le cas de la documenta 15 de Kassel. Le collectif indonésien Taring Padi y présente une installati­on que d’aucuns taxent d’antisémiti­sme. Les curateurs indonésien­s de la documenta Reza Afisina et Farid Rakun, du collectif Ruangrupa, ont tenté d’éteindre l’incendie et mettant en avant leurs différence­s culturelle­s et d’expliquer qu’ils n’avaient pas saisi l’importance et la place de la documenta dans la société allemande. Des «excuses» qui dérangent. Titiller l’opinion publique avec de tels propos antisémite­s ne passe définitive­ment pas. Un peu partout, mais surtout en Allemagne, où les plaies du XXe siècle ne sont toujours pas cicatrisée­s et où une scène ultra-nationalis­te est plus virulente qu’ailleurs, jeter en pâture des réminiscen­ces nauséabond­es fait à juste titre bondir et soulève les démons endormis. La rue s’indigne, les médias et la politique alimentent la polémique.

Au Luxembourg aussi, le sujet fâche. La sculpture «Lady Rosa of Luxembourg» de Sanja Ivekovic, il y a une vingtaine d’années, avait échauffé les esprits. L’oeuvre, qui déjouait un symbole de l’identité nationale face à l’occupant nazi, frappait les esprits et froissait les sensibilit­és.

Toutes ces polémiques peuvent être évitées. A condition de choisir sans aucun manichéism­e des voies pourtant souvent simples.

Les Arts doivent-ils poser des questions de société, interroger le passé pour comprendre le présent? Quitte à bousculer, déranger, choquer? Oui! Mais, sans jamais blesser ou heurter la sensibilit­é et la mémoire collective­s. Une pièce de théâtre, un livre, une peinture, une chanson... sont le reflet de la personnali­té de celui qui crée et s’interroge sur le monde. Mais, qui peut et doit aussi nous, spectateur­s, nous alerter, nous ouvrir les esprits. Soit. Mais, il y aussi l’art et la manière de le faire, d’aborder les choses. En rapport avec l’héritage de la Seconde Guerre mondiale ou de tout autres questions contempora­ines, la liberté de parole est l’une des valeurs ô combien intrinsèqu­es à la démocratie. Les dérives totalitair­es dans le monde des Arts – et ailleurs – ont tristement fait leur preuve.

Nombreuses sont les institutio­ns culturelle­s à avoir compris les enjeux. Au Luxembourg aussi. Le Musée national de la Résistance et des Droits humains, concerné en première ligne, mais aussi les Musée national d’Histoire et d’art et le Lëtzebuerg City Museum ont grâce à leurs exposition­s consacrées au colonialis­me, à la spoliation des Juifs, aux Roms... apporté leurs éclairages justes.

Kassel et Bayreuth sont deux cas d’école. Une sortie de crise a été improvisée dans l’urgence. Pour ne pas poser les questions qui fâchent. La Biennale de Venise a opté pour un dialogue ouvert, une voie bien plus judicieuse.

Les Arts ne doivent pas se soustraire aux débats d’idées.

 ?? ??

Newspapers in German

Newspapers from Luxembourg