Un modèle pour les «juristes catholiques»
Rosario Livatino – un appel à servir humblement le droit et la justice
Les figures tutélaires de saint Yves et de saint Thomas Moore, les saints patrons des hommes de loi, demeurent des points d’ancrage spirituels incontestables. Cependant, la récente béatification de Rosario Livatino par le pape François, un magistrat assassiné par la mafia le 21 septembre 1990, vient rappeler à tous les juristes catholiques la nécessité de l’engagement chrétien dans le monde du droit.
«Martyr de la justice et indirectement de la Foi»
Né en Sicile dans les années 1950, Rosario Livatino fera des études de droit puis entrera dans la magistrature. Il est décrit comme un homme humble, discret, ayant un grand sens de la dignité humaine. On rapporte une anecdote qui s’est déroulée au début de sa carrière lorsqu’il était procureur en charge d’une affaire criminelle. Alors qu’il se trouvait en présence du cadavre d’un des chefs de la mafia sicilienne, il n’a pas hésité à rappeler à l’ordre un policier qui faisait des propos inconvenants en disant «devant la mort, ceux qui croient prient, ceux qui ne croient pas se taisent».
Le juge doit plier ses convictions à la loi et non la loi à ses convictions. Rosario Livatino
Personne ne connaissait ce petit juge – il giudici ragazzino – qui travaillait sur d’obscurs dossiers d’acquisitions illégales de biens par la mafia. Il se savait menacé par la Cosa Nostra mais ne voulait pas avoir de garde du corps afin d’éviter de mettre en danger la vie de son prochain.
C’est le matin du 21 septembre 1990 que Rosario Livatino prendra sa voiture pour se rendre au tribunal comme tous les jours. Il mourra en chemin sous les balles tirées par deux assassins commandités par la mafia. Dans son dernier souffle, il demandera à l’un d’eux ce qu’il a fait de mal pour mériter un tel châtiment.
C’est après avoir entendu le récit de la mort de Rosario Livatino que le Pape Jean-Paul II prononcera son fameux discours dans la vallée des temples à Agrigente en Sicile contre la culture de mort de la mafia. Contrairement aux célèbres juges italiens anti-mafia comme les juges Falcone et Borsellino, seul Rosario Livatino a été béatifié par l’Église catholique. Les raisons sont nombreuses: Rosario Livatino menait une vie de chrétien exemplaire avec un cheminement spirituel authentique (il a notamment reçu le sacrement de confirmation dans sa trentaine). Son parcours différait également des autres juges anti-mafia dans la mesure où c’est bien le santocchio, le juge chrétien, que la mafia voulait supprimer.
Enfin, mort en odeur de sainteté (odium fidei), son procès en béatification a été dûment instruit
Rosario Livatino à été béatifié le 9 mai 2021.
par l’Église catholique et une guérison miraculeuse a été reconnue par Rome. Rosario Livatino a laissé très peu d’écrits en dehors de ses carnets de notes personnels et de deux conférences sur le rôle du juge et sur le lien entre la foi et le droit. Il rappelle dans cette dernière l’importance du droit naturel et le fait que «la vie humaine est un don divin».
Un modèle contemporain pour les
«juristes catholiques»
La vie de Rosario Livatino est un appel pour les juristes catholiques à qui il est demandé individuellement de prendre le temps de prier et d’avoir une vie intérieure, tout en mettant en oeuvre l’éthique chrétienne dans sa profession juridique. C’est bien le professionnalisme, l’efficacité et la cohérence de vie de ce petit juge connu de personne, comme l’a souligné le pape François, qui lui ont attiré les foudres de la mafia. C’est dans la réalisation de ses tâches quotidiennes que Rosario a trouvé le chemin du martyr.
Rosario Livatino est également un modèle pour le monde de la justice et la magistrature. Il rappelle
en effet que dans les systèmes de droit civil (comme en France et en Italie), le juge n’est pas appelé à créer le droit mais à appliquer la loi. «Le juge doit plier ses convictions à la loi et non la loi à ses convictions». Rosario Livatino inscrit ainsi son approche dans la lignée de Montesquieu suivant lequel le juge se doit d’être «la bouche de la loi».
Enfin, il convient de rappeler le rôle de Rosario Livatino dans la lutte contre l’argent sale. Depuis plusieurs décennies, les États membres de l’Union européenne ont progressivement mis en place un arsenal juridique pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Contrairement aux célèbres juges italiens anti-mafia, seul Rosario Livatino a été béatifié par l’Église catholique.
L’ONU estime que l’argent sale représente au niveau mondial l’équivalent du PIB de l’Italie et constitue un véritable risque de déstabilisation pour l’État de droit et la démocratie.
La lutte contre le crime organisé est le combat quotidien de nombreux juges et magistrats. Certains y ont laissé leur vie comme le procureur anti-drogue Marcelo Pecci qui a été assassiné en mai 2022 par la mafia lors de son voyage de noce en Colombie. Le profil hors du commun de l’actuelle Procureure générale du Parquet européen Laura Codruta Kövesi convient également d’être mentionné.
Lorsqu’elle était à la tête de la Direction nationale anticorruption de Roumanie, la Procureure Kövesi a ainsi incriminé avec succès de très nombreuses personnalités des sphères politiques et économiques roumaines permettant à l’État roumain de récupérer plus de 2 milliards d’euro d’argent détourné.
L'auteur est le Président de la Conférence Saint Yves (Luxembourg) qui à organisée une conférence sur le sujet (disponible sur le site www.csy.lu).