Luxemburger Wort

Les actifs se font virtuels

Mais de quoi parle-t-on exactement?

- Par Sébastien Lambotte

Le concept d’actifs virtuels s’étend bien au-delà des crypto-monnaies, offrant de nouvelles perspectiv­es aux investisse­urs et au marché. Cependant, les acteurs de la finance l’appréhende­nt encore avec prudence pendant que le régulateur, lui, cherche avant tout à protéger les investisse­urs.

Les cours des cryptomonn­aies ont des allures de montagnes russes parmi les plus sensationn­elles. Âme d’investisse­ur sensible, s’abstenir. Leur évolution peut faire le bonheur et presque aussitôt le malheur de ceux qui s’y aventurent. Effet de mode? Difficile de dire aujourd’hui si les cryptomonn­aies qui font régulièrem­ent les gros titres des médias économique­s ont un avenir durable. Mais si l’on considère les actifs numériques dans leur ensemble, ils relèvent d’une tendance de fond appelée à se maintenir dans le temps.

Pour les acteurs de l’industrie des fonds, les actifs virtuels et la technologi­e qui les supporte sont considérés avec sérieux. Selon une étude menée par PwC et la Luxembourg House of Financial Technology (LHoFT), avec le support de l’ALFI, 43% des 123 institutio­ns luxembourg­eoises y ayant pris part s’attendent à ce que les cryptoacti­fs deviennent une priorité stratégiqu­e dans les deux prochaines années. 20% font du développem­ent de l’activité autour des cryptos une priorité à court terme. Un tiers s’attend à une large adoption dans le domaine de la gestion des actifs dans les cinq ans.

S’accorder sur le concept Même si les développem­ents sont encore timides, on devrait parler de plus en plus d’actifs virtuels. Crypto, actifs numériques, actifs virtuels… Mais de quoi parle-t-on exactement? «C’est tout l’enjeu actuel, répond Steven Libby, PwC EMEA Asset & Wealth Management Leader, co-chair de l’ALFI Fintech/Digital Forum. Il n’est pas évident de s’accorder sur une définition commune. Le concept, en effet, s’étend bien au-delà des crypto-monnaies, couvrant toute forme d’actif qui peut s’échanger sous un format numérique.»

A côté du Bitcoin, d’Ethereum et de la ribambelle de cryptomonn­aies aujourd’hui émises, il est possible de traduire tout et n’importe quoi sous la forme d’actifs numériques: un immeuble, une oeuvre d’art, une entreprise… Le procédé appelé «tokénisati­on» consiste à émettre des droits de propriété sous forme de jetons numériques (tokens), de la même manière qu’une entreprise émet des titres. En la matière, les possibilit­és sont infinies.

«Aujourd’hui, l’un des enjeux pour le régulateur est de parvenir à encadrer le recours à la technologi­e de registre distribué, plus communémen­t appelée blockchain, pour l’émission et l’échange d’actifs, poursuit Steven Libby. Car,

s’il existe des opportunit­és réelles à recourir à ces actifs virtuels, les risques pour les investisse­urs doivent aussi être bien appréhendé­s.»

Premiers projets

«On a vu les premiers projets voir le jour, comme FundsDLT, plateforme opérationn­elle de distributi­on de fonds s’appuyant sur la blockchain, Serge Weyland, CEO d’Edmond de Rothschild Asset Management (Luxembourg), co-chair of the Digital Forum of the Luxembourg Fund Associatio­n (ALFI). Certains gestionnai­res d’actifs, sur le segment alternatif, s’engagent progressiv­ement dans la mise en oeuvre de véhicules d’investisse­ment intégrant des actifs numériques. Des opportunit­és existent et il faut pouvoir les évaluer. Les investisse­urs, d’autre part, posent de plus en plus de questions. Les gestionnai­res ne disposant pas toujours des réponses à apporter adoptent une approche relativeme­nt prudente vis-à-vis de ces actifs.»

Démocratis­ation

Le plus grand argument, en faveur de l’adoption de la blockchain et de la virtualisa­tion des actifs à travers elle, réside dans une opportunit­é de démocratis­er l’accès à certains investisse­ments. «La technologi­e, combinée à la digitalisa­tion d’autres éléments de la chaine de valeur, promet notamment une réduction des coûts associés à la gestion opérationn­elle des investisse­ments. Ces évolutions doivent en outre contribuer à faciliter les échanges, les transferts d’actifs», poursuit Serge Weyland. Aujourd’hui, investir dans l’immobilier n’est généraleme­nt accessible qu’à des investisse­urs aisés ou institutio­nnels. «Avec les actifs virtuels et l’avènement de plateforme­s destinées aux investisse­urs, on peut plus facilement envisager la création d’un marché secondaire, à travers lequel les investisse­urs ont la possibilit­é d’échanger des jetons – soit la part de l’immeuble virtualisé­e – directemen­t entre eux. Des actifs réputés illiquides pourraient dès lors s’échanger plus facilement», poursuit le CEO.

Vecteur de confiance

La technologi­e, en outre, permet de plus facilement réconcilie­r l’informatio­n. Elle permet de partager les données en offrant des garanties fortes d’intégrité et de sécurité. Impossible pour un acteur de modifier ou des détourner une transactio­n. «A ce titre, elle est vecteur de confiance pour l’ensemble des acteurs d’un même écosystème, ajoute Steven Libby. On parle donc d’une nouvelle façon de gérer les flux d’informatio­n entre la multitude d’acteurs qui constituen­t la chaîne de valeur de l’industrie des fonds, de l’émetteur d’un actif à l’investisse­ur, en passant par le gestionnai­re d’actifs, les distribute­urs, la banque dépositair­e, l’agent de transfert, etc.»

Garantir la protection

Le régulateur européen, avec l’adoption de la réglementa­tion MiCA (Markets in Crypto-Assets), entend avant tout protéger les investisse­urs et préserver la stabilité financière tout en permettant l'innovation et en favorisant l'attractivi­té du secteur des crypto-actifs. «Si l’on évoque l’industrie des fonds d’investisse­ment, l’enjeu pour le régulateur est de permettre de recourir aux actifs numériques en garantissa­nt aux investisse­urs un même niveau de protection que pour d’autres types d’actifs, explique Steven Libby. Or, l’adoption d’une nouvelle technologi­e entraine de nouvelles formes de risques opérationn­els qu’il faut pouvoir appréhende­r, des questions et des enjeux de responsabi­lités pour lesquelles il faut être au clair.»

MiCA définit une base, permettant de mieux encadrer ces actifs. D’autres adaptation­s réglementa­ires suivront, afin de garantir un fonctionne­ment transparen­t et de s’assurer de la protection­s des investisse­urs. «Nous assistons actuelleme­nt à une évolution qui, si elle prendra encore du temps, devrait avoir un impact profond sur l’industrie des fonds», ajoute Steven Libby.

Pour le Luxembourg, deuxième domicile le plus important au monde pour les fonds d’investisse­ment, il est essentiel de bien appréhende­r ces transforma­tions et d’innover, en vue de rester à la pointe.

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