Les actifs se font virtuels
Mais de quoi parle-t-on exactement?
Le concept d’actifs virtuels s’étend bien au-delà des crypto-monnaies, offrant de nouvelles perspectives aux investisseurs et au marché. Cependant, les acteurs de la finance l’appréhendent encore avec prudence pendant que le régulateur, lui, cherche avant tout à protéger les investisseurs.
Les cours des cryptomonnaies ont des allures de montagnes russes parmi les plus sensationnelles. Âme d’investisseur sensible, s’abstenir. Leur évolution peut faire le bonheur et presque aussitôt le malheur de ceux qui s’y aventurent. Effet de mode? Difficile de dire aujourd’hui si les cryptomonnaies qui font régulièrement les gros titres des médias économiques ont un avenir durable. Mais si l’on considère les actifs numériques dans leur ensemble, ils relèvent d’une tendance de fond appelée à se maintenir dans le temps.
Pour les acteurs de l’industrie des fonds, les actifs virtuels et la technologie qui les supporte sont considérés avec sérieux. Selon une étude menée par PwC et la Luxembourg House of Financial Technology (LHoFT), avec le support de l’ALFI, 43% des 123 institutions luxembourgeoises y ayant pris part s’attendent à ce que les cryptoactifs deviennent une priorité stratégique dans les deux prochaines années. 20% font du développement de l’activité autour des cryptos une priorité à court terme. Un tiers s’attend à une large adoption dans le domaine de la gestion des actifs dans les cinq ans.
S’accorder sur le concept Même si les développements sont encore timides, on devrait parler de plus en plus d’actifs virtuels. Crypto, actifs numériques, actifs virtuels… Mais de quoi parle-t-on exactement? «C’est tout l’enjeu actuel, répond Steven Libby, PwC EMEA Asset & Wealth Management Leader, co-chair de l’ALFI Fintech/Digital Forum. Il n’est pas évident de s’accorder sur une définition commune. Le concept, en effet, s’étend bien au-delà des crypto-monnaies, couvrant toute forme d’actif qui peut s’échanger sous un format numérique.»
A côté du Bitcoin, d’Ethereum et de la ribambelle de cryptomonnaies aujourd’hui émises, il est possible de traduire tout et n’importe quoi sous la forme d’actifs numériques: un immeuble, une oeuvre d’art, une entreprise… Le procédé appelé «tokénisation» consiste à émettre des droits de propriété sous forme de jetons numériques (tokens), de la même manière qu’une entreprise émet des titres. En la matière, les possibilités sont infinies.
«Aujourd’hui, l’un des enjeux pour le régulateur est de parvenir à encadrer le recours à la technologie de registre distribué, plus communément appelée blockchain, pour l’émission et l’échange d’actifs, poursuit Steven Libby. Car,
s’il existe des opportunités réelles à recourir à ces actifs virtuels, les risques pour les investisseurs doivent aussi être bien appréhendés.»
Premiers projets
«On a vu les premiers projets voir le jour, comme FundsDLT, plateforme opérationnelle de distribution de fonds s’appuyant sur la blockchain, Serge Weyland, CEO d’Edmond de Rothschild Asset Management (Luxembourg), co-chair of the Digital Forum of the Luxembourg Fund Association (ALFI). Certains gestionnaires d’actifs, sur le segment alternatif, s’engagent progressivement dans la mise en oeuvre de véhicules d’investissement intégrant des actifs numériques. Des opportunités existent et il faut pouvoir les évaluer. Les investisseurs, d’autre part, posent de plus en plus de questions. Les gestionnaires ne disposant pas toujours des réponses à apporter adoptent une approche relativement prudente vis-à-vis de ces actifs.»
Démocratisation
Le plus grand argument, en faveur de l’adoption de la blockchain et de la virtualisation des actifs à travers elle, réside dans une opportunité de démocratiser l’accès à certains investissements. «La technologie, combinée à la digitalisation d’autres éléments de la chaine de valeur, promet notamment une réduction des coûts associés à la gestion opérationnelle des investissements. Ces évolutions doivent en outre contribuer à faciliter les échanges, les transferts d’actifs», poursuit Serge Weyland. Aujourd’hui, investir dans l’immobilier n’est généralement accessible qu’à des investisseurs aisés ou institutionnels. «Avec les actifs virtuels et l’avènement de plateformes destinées aux investisseurs, on peut plus facilement envisager la création d’un marché secondaire, à travers lequel les investisseurs ont la possibilité d’échanger des jetons – soit la part de l’immeuble virtualisée – directement entre eux. Des actifs réputés illiquides pourraient dès lors s’échanger plus facilement», poursuit le CEO.
Vecteur de confiance
La technologie, en outre, permet de plus facilement réconcilier l’information. Elle permet de partager les données en offrant des garanties fortes d’intégrité et de sécurité. Impossible pour un acteur de modifier ou des détourner une transaction. «A ce titre, elle est vecteur de confiance pour l’ensemble des acteurs d’un même écosystème, ajoute Steven Libby. On parle donc d’une nouvelle façon de gérer les flux d’information entre la multitude d’acteurs qui constituent la chaîne de valeur de l’industrie des fonds, de l’émetteur d’un actif à l’investisseur, en passant par le gestionnaire d’actifs, les distributeurs, la banque dépositaire, l’agent de transfert, etc.»
Garantir la protection
Le régulateur européen, avec l’adoption de la réglementation MiCA (Markets in Crypto-Assets), entend avant tout protéger les investisseurs et préserver la stabilité financière tout en permettant l'innovation et en favorisant l'attractivité du secteur des crypto-actifs. «Si l’on évoque l’industrie des fonds d’investissement, l’enjeu pour le régulateur est de permettre de recourir aux actifs numériques en garantissant aux investisseurs un même niveau de protection que pour d’autres types d’actifs, explique Steven Libby. Or, l’adoption d’une nouvelle technologie entraine de nouvelles formes de risques opérationnels qu’il faut pouvoir appréhender, des questions et des enjeux de responsabilités pour lesquelles il faut être au clair.»
MiCA définit une base, permettant de mieux encadrer ces actifs. D’autres adaptations réglementaires suivront, afin de garantir un fonctionnement transparent et de s’assurer de la protections des investisseurs. «Nous assistons actuellement à une évolution qui, si elle prendra encore du temps, devrait avoir un impact profond sur l’industrie des fonds», ajoute Steven Libby.
Pour le Luxembourg, deuxième domicile le plus important au monde pour les fonds d’investissement, il est essentiel de bien appréhender ces transformations et d’innover, en vue de rester à la pointe.