Un drame tristement banal
«Tori et Lokita», de Luc et Jean-Pierre Dardenne a l’effet d’une gifle
Le jeune garçon Tori et l’adolescente Lokita, après avoir quitté le Bénin, débarquent en Belgique. Ils vivent dans un foyer, sont seuls et deviennent des proies faciles. Tori a ses papiers, Lokita, qui se fait passer pour sa soeur, tente de les obtenir. La jeune fille sera prête à tout pour décrocher le précieux sésame, que les autorités lui refusent toujours.
Le drame que vivent Tori et Lokita est tristement banal. Une histoire qu’aujoud’hui nombreux sont ceux qui refusent de voir. Détourner les yeux d’une réalité qui dérange, reste plus simple que de prendre conscience d’une situation aussi réelle que traumatisante. désir de réalité. Aucun mot, aucune image n’est édulcoré, embelli ou dramatiquement exagéré.
Une progressive descente aux enfers
La dureté de cette progressive descente aux enfers de Lori et Lokita est palpable, présente en tout instant. Le message n’est pour autant pas simplement jeté ostensiblement en pâture, l’histoire qui se dévoile est avant tout un drame humain. Une fois encore, les deux frères ne dérogent à leur ligne de conduite, qu’ils se sont fixés et qu’ils ont développé tout au long de leurs films. Avec «Tori et Lokita», leurs propos cette fois-ci s’assombrissent nettement, comme si leur regard bienveillant allait s’essouffler d’un instant à l’autre.
Ils continuent de dénoncer, mais leurs propos restent toujours d’une sensibilité raffinée et détaillée. Chaque détail, chaque nuance compte. Leur judicieuse juxtaposition confère à l’ensemble une cohérence extrême. Malgré l’horreur que vivent Tori et Lokita, le film garde vivante une lueur de lumière... qui s’éteindra. L’ultime combat de Lokita – qui rêve de devenir aide-ménagère pour aider sa famille restée au pays – aura une issue fatale.
Luc et Jean-Pierre Dardenne réussissent le tour de forcer de tenir en haleine le spectateur un long moment. Ce qui semble s’apparenter à un épilogue haletant est un ultime face-à-face d’un manichéisme troublant. La narration, qui d’un coup s’accélère, sans pour autant s’emballer, définit clairement les forces en présence. Les caméras, enfermées dans un huis clos saisissant, traduisent la dramaturgie insoutenable du moment. Une fois encore, les images véhiculées sont criantes de vérité. Lokita souffre en solitaire, encaisse les coups et relève pourtant la tête.
Le film est porté par Pablo Schils (Tori) et Joely Mbundu (Lokita).
Les deux acteurs belges – amateurs – transpercent leurs personnages respectifs d’un naturel inattendu et déroutant, tant leur jeu est saisissant. Les quelques et rares espaces de tendresse entre ces deux êtres perdus sont autant de moments de réjouissance et d’insouciance, qui rapidement seront balayés. Les caméras, au fil de portraits souvent serrés, apportent des moments de lumière en alternance aux nombreuses scènes sombres et obscures. Le contraste d’atmosphère est poignant. La jeunesse meurtrie et les rêves brisés sont des leitmotivs de tous les instants.
Prix du Festival de Cannes cette année, «Tori et Lokita» prend à la gorge, a l’effet d’une gifle, tant cette réalité que l’on préfère ne pas voir, est d’une cinglante vérité. La tendresse, l’humilité et surtout la grande humanité des réalisateurs belges ne sont finalement qu’un bien faible lot de consolation.