Luxemburger Wort

L’Homme Coquillage

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Asli Erdogan, l’une des romancière­s les plus célèbres de Turquie, sera en cette fin de semaine au Luxembourg. Incarcérée pour propagande terroriste en raison de ses liens avec un journal pro-kurde, une affaire qui a provoqué un tollé internatio­nal sur la liberté d’expression, cette militante féministe n’a à aucun moment perdu sa voix.

Samedi prochain elle sera au Grand Théâtre de Luxembourg où se joue actuelleme­nt une adaptation de l’opéra «L’enlèvement du sérail» de Mozart. Le lien avec Asli Erdogan? L’écrivaine a su donner à cet opéra une toute nouvelle dimension philosophi­que, au-delà des clichés orientaux et des moments comiques, en transposan­t dans sa version du singspiel sur la libération de femmes kidnappées des dialogues tirés de son roman «Le Mandarin Miraculeux». Avant la présentati­on de samedi, les Théâtres de la Ville en coopératio­n avec l’Institut Pierre Werner organisent un entretien avec Asli Erdogan.1

Avant d’être déclarée persona non grata dans son pays et que son arrestatio­n ne suscite l’horreur dans le monde entier, l’auteure, née en 1967, était surtout connue du public internatio­nal pour ses romans qui parlent de la solitude, de la souffrance et de l’injustice. «L’Homme Coquillage»2, un roman à caractère autobiogra­phique, est l’histoire d’une jeune chercheuse en physique nucléaire invitée pour un séminaire aux Caraïbes. Elle choisit d’échapper au groupe étriqué rassemblé dans un hôtel de luxe afin d’aller explorer aux alentours les plages sauvages. Car l’hôtel, où se tenait le séminaire, «était, pour reprendre le jargon des physiciens eux-mêmes, un ghetto ou un monastère. De nous, l’on attendait trois choses: travailler, travailler, travailler. Sans tomber malade, sans rien regretter, sans basculer dans la dépression, sans être amoureux, fonctionne­r sans accroc aussi parfaiteme­nt qu’un moteur d’avion.»

C’est devant l’océan immense que la narratrice rencontre Tony, l’Homme Coquillage, un être au physique rugueux et quasi effrayant mais dont les cicatrices la fascinent immédiatem­ent. Se noue alors une relation âpre, franche et ambiguë, d’amour ou d’amitié, entre une femme éprise de liberté mais enfermée dans sa carapace de peur et d’intellect, et un homme proche de la nature, dont la vie est émaillée de violences.

Avant de s’orienter vers sa vie d’écrivaine, Asli Erdogan était elle aussi sur le point de devenir une scientifiq­ue remarquabl­e. Après des études d’informatiq­ue et de physique à Istanbul, elle a commencé à l’âge de 24 ans à faire des recherches sur la particule de Higgs au CERN à Genève. Elle était l’une des très rares femmes à y travailler à l’époque. Mais elle a vite pris ses distances de ce monde d’hommes.

Dans «L’Homme Coquillage», la narratrice dit à un moment: «Je songeai aux centaines de livres que j’avais lus dans ma vie, aux gens que j’avais écoutés, aux concepts que j’avais cherché à comprendre; physique, littératur­e, philosophi­e, histoire... le résidu de tout cela ne pesait à présent pas plus lourd qu’une poignée de sable. Pendant vingt-cinq ans je n’avais rien appris sur ce qu’était au fond de vivre. Rien de rien.» mt

Soirée animée par Caroline Mart (RTL) en langue anglaise. A 18.30 heures au foyer du théâtre. L’entrée est gratuite, inscriptio­n recommandé­e. luxembourg­ticket.lu

L’Homme Coquillage, 8,20 euros en poche chez Babel, 208 pages.

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